par Muhammad Asif NOOR
Alors que le changement climatique exerce de plus en plus ses effets dévastateurs à travers le monde, la nécessité d’une transition économique unifiée et durable devient chaque jour plus pressante. Pourtant, les rivalités géopolitiques et les politiques commerciales protectionnistes menacent de faire dérailler cette transition cruciale. Bien que le consensus mondial sur l’urgence de lutter contre le changement climatique soit clair, les agendas politiques créent des obstacles qui pourraient ralentir considérablement les progrès vers un avenir plus vert.
Au cours des dernières années, l’économie mondiale a été secouée par une série de crises : une pandémie prolongée, des tensions géopolitiques et le retour du protectionnisme. Aujourd’hui, alors que les nations s’efforcent de reconstruire leurs économies, certaines recourent aux barrières commerciales pour protéger leurs industries nationales. La décision récente de l’Union européenne d’imposer des droits de douane élevés — jusqu’à 45,3 % — sur les véhicules électriques (VE) chinois illustre comment les intérêts politiques et économiques à court terme peuvent entrer en conflit avec les objectifs climatiques à long terme.
Ces mesures, bien qu’elles soient souvent justifiées comme nécessaires pour protéger les industries locales contre une concurrence jugée déloyale, comportent des risques majeurs. Elles menacent notamment le fragile système commercial multilatéral qui a historiquement permis aux pays de collaborer sur des défis communs, y compris le changement climatique. La question est la suivante : le monde peut-il se permettre de laisser les guerres commerciales entraver l’effort collectif nécessaire pour combattre l’une des plus grandes menaces existentielles de notre temps ?
Les politiques commerciales protectionnistes, déguisées en actions climatiques, risquent de saper la coopération internationale. En ciblant les importations de technologies vertes, telles que les VE et les panneaux solaires, ces politiques pourraient ralentir la diffusion mondiale des innovations essentielles à la transition énergétique. Yi Xiaozhun, ancien directeur général adjoint de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), avertit que de telles mesures unilatérales pourraient déstabiliser davantage un système commercial mondial déjà fragile, remettant en cause des décennies de progrès.
Cela est particulièrement préoccupant au vu de l’ampleur de la crise climatique. La transition vers les énergies renouvelables et les industries durables dépend de la mise en œuvre rapide et généralisée des technologies vertes. En politisant l’action climatique, les pays risquent non seulement de retarder leurs propres avancées, mais aussi de compromettre les objectifs climatiques mondiaux. Une approche fragmentée, motivée par des intérêts nationaux étroits, pourrait engendrer un patchwork de politiques incohérentes incapables de répondre à la dimension globale du changement climatique.
Plutôt que de céder au protectionnisme, les nations devraient favoriser la concurrence dans le secteur des technologies vertes. Erik Solheim, coprésident du Centre Europe-Asie et ancien directeur exécutif du Programme des Nations Unies pour l’environnement, soutient que la concurrence peut être un puissant moteur d’innovation et d’efficacité. L’Europe, par exemple, devrait considérer la domination de la Chine dans la production de panneaux solaires et de VE non pas comme une menace, mais comme une opportunité d’améliorer ses propres capacités industrielles.
Le rôle de la Chine dans la production de technologies vertes abordables et de qualité a été crucial. Ces produits sont essentiels pour les pays souhaitant atteindre leurs objectifs climatiques. Au lieu d’ériger des barrières, les décideurs politiques devraient se concentrer sur la création d’un environnement de marché équitable et compétitif. Encourager la concurrence permettra non seulement de réduire les coûts, mais aussi d’accélérer les avancées technologiques, contribuant ainsi à l’effort mondial de réduction des émissions.
La demande de technologies vertes est en plein essor. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le monde doit installer 820 gigawatts de nouvelle capacité photovoltaïque par an pour atteindre les objectifs climatiques. Or, les niveaux de production actuels sont largement insuffisants. De même, les ventes mondiales de VE devraient atteindre 30 millions d’unités d’ici 2027, mais l’offre reste limitée. La Chine, leader en matière de fabrication verte, joue un rôle clé pour combler cet écart.
Cependant, des mesures protectionnistes comme les droits de douane pourraient aggraver les pénuries, augmenter les coûts et retarder leur déploiement. C’est un scénario perdant-perdant : les consommateurs font face à des prix plus élevés, et la planète pâtit d’un ralentissement des progrès dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour éviter cela, la communauté internationale doit privilégier le commerce ouvert et la coopération, garantissant l’accès aux technologies vertes à des coûts abordables.
La complexité de la crise climatique exige une réponse internationale coordonnée. Les politiques commerciales devraient être alignées sur les objectifs climatiques, créant un environnement propice à l’innovation au-delà des frontières. Une coopération renforcée entre les grandes économies, notamment l’UE et la Chine, est essentielle. Ces deux régions disposent de la capacité industrielle et de l’expertise technologique nécessaires pour mener la transition mondiale vers la durabilité. Cependant, cela ne sera possible que si elles travaillent ensemble pour établir des marchés ouverts et équitables.
L’OMC, malgré ses défis, reste une plateforme cruciale pour résoudre les différends commerciaux et promouvoir une concurrence loyale. Renforcer cette institution multilatérale est essentiel pour empêcher les tensions commerciales de compromettre l’action climatique. En respectant les règles de l’OMC et en favorisant des pratiques commerciales transparentes, les nations peuvent s’assurer que les politiques climatiques ne soient pas instrumentalisées à des fins économiques.
L’intersection entre commerce et politique climatique est un exercice d’équilibre délicat. D’un côté, les nations doivent protéger leurs industries et leurs travailleurs ; de l’autre, elles doivent reconnaître la dimension globale du défi climatique. Le protectionnisme peut offrir un soulagement économique à court terme, mais il risque de causer des dommages à long terme en retardant la transition verte et en aggravant les risques climatiques.
Pour naviguer dans cet environnement complexe, les décideurs doivent adopter une approche holistique intégrant des considérations économiques, environnementales et géopolitiques. L’avenir repose sur la promotion d’une concurrence ouverte, le renforcement de la coopération internationale et la consolidation des cadres multilatéraux. Ce n’est qu’en alignant les politiques commerciales sur les objectifs climatiques que le monde pourra espérer parvenir à une économie verte durable et équitable. Les enjeux n’ont jamais été aussi élevés, et le moment d’agir de manière décisive et coopérative est maintenant.
Auteur: Muhammad Asif Noor est le fondateur du Forum des Amis de la BRI, conseiller principal au Centre de Recherche du Pakistan à l’Université Normale du Hebei en Chine, co-fondateur de l’Alliance des Centres de Recherche Chine-Pakistan et chercheur principal au Centre d’Études CPEC à l’Université de Kashi en Chine.
Cet article reflète les opinions personnelles de l’auteur et non nécessairement celles de Global Connectivities.