Le prix de l’exclusion dans un système commercial fracturé

Les nouvelles mesures tarifaires des États-Unis fragilisent les économies en développement et remettent en cause le commerce mondial.

par Muhammad Asif NOOR

La structure du commerce mondial subit des pressions croissantes, et les dernières mesures tarifaires des États-Unis ont accentué des fissures déjà existantes. Un rapport récent de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) offre une analyse détaillée de la manière dont les nouvelles escalades tarifaires américaines influencent la trajectoire du commerce international. Bien que cette politique soit justifiée comme une défense nécessaire des intérêts économiques nationaux, les éléments disponibles suggèrent des conséquences bien plus larges, qui dépassent le cadre des différends bilatéraux. Le fardeau n’est pas réparti équitablement, et les répercussions économiques pour les économies les plus fragiles sont considérables.

Les annonces tarifaires de 2025 vont au-delà de la Chine et incluent désormais plus de 22 économies en développement, dont plusieurs sont classées parmi les pays les moins avancés selon les critères de l’ONU. Ces économies contribuent pourtant de manière négligeable au déficit commercial des États-Unis. En effet, les 44 pays les moins avancés réunis représentent moins de 2 % de ce déficit. Malgré cela, certains de ces pays font face à des droits de douane dépassant désormais 25 %. Ces changements n’ont pas été négociés dans le cadre de plateformes multilatérales et s’écartent des accords commerciaux existants. La rapidité et l’ampleur des mesures soulèvent des questions sur l’orientation à long terme de la stratégie commerciale américaine.

La réaction des organisations internationales s’est concentrée sur les effets disproportionnés que subissent les petites économies. Les pays d’Asie, d’Afrique et du Pacifique, dont beaucoup dépendent d’un nombre limité de catégories d’exportation – comme l’agriculture ou le textile – sont confrontés à une pression soudaine sur les coûts, réduisant leur compétitivité et leur capacité à maintenir l’emploi. Le commerce de la vanille à Madagascar, la production textile au Cambodge, ou encore certains secteurs agricoles en Amérique latine figurent parmi les activités déjà touchées par une baisse de la demande. Pour ces économies, le moment est particulièrement mal choisi. Beaucoup peinent encore à se remettre de la pandémie, à gérer une dette publique élevée et à faire face à un espace budgétaire restreint.

Les déséquilibres commerciaux ont longtemps été au cœur des débats entre pays développés et en développement. Ce qui distingue le contexte actuel, c’est la rapidité des changements et l’absence de mécanismes d’amortissement pour les économies vulnérables. Les nouvelles structures tarifaires introduisent une volatilité que les petits pays sont mal équipés pour affronter. Cela se traduit par une remise en cause des progrès accomplis en matière d’inclusion dans le commerce mondial. Des industries qui offraient un certain niveau de participation économique sont aujourd’hui confrontées à un choc externe qu’elles n’ont ni provoqué ni les moyens de compenser.

Du point de vue de Washington, cette politique vise à réduire la dépendance à l’égard de la fabrication étrangère, à sécuriser certaines chaînes d’approvisionnement stratégiques, et à répondre aux préoccupations nationales en matière d’emploi. Ces objectifs rencontrent un écho favorable sur le plan politique et s’inscrivent dans une logique plus large de réindustrialisation. Une partie de l’électorat américain, notamment dans les secteurs touchés par les délocalisations, soutient ces mesures. Toutefois, les résultats économiques sont contrastés. Les petits industriels et les communautés agricoles aux États-Unis commencent déjà à faire face à une hausse des coûts des intrants. Les producteurs de soja dans le Midwest, par exemple, constatent une réduction des débouchés à l’export. Les entreprises manufacturières signalent des retards et des hausses de coûts liées aux nouvelles contraintes d’approvisionnement. Les prévisions de croissance économique aux États-Unis ont d’ailleurs été revues à la baisse.

Ce phénomène reflète un éloignement progressif des anciens modèles de libéralisation commerciale. Plutôt que de rechercher un gain mutuel élargi, l’environnement actuel privilégie une approche d’engagement sélectif. Rien n’indique que les institutions multilatérales aient été impliquées de manière significative dans le processus décisionnel. L’autorité de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dans ces affaires a décliné ces dernières années, et cette évolution en est une nouvelle illustration. Le rapport de la CNUCED rappelle que l’unilatéralisme, lorsqu’il est pratiqué par des puissances économiques majeures, produit des effets en cascade.

Certains gouvernements du Sud global réévaluent leurs dépendances. On observe un intérêt croissant pour des accords commerciaux en dehors du cadre traditionnel États-Unis-Europe. L’expansion des BRICS et les initiatives régionales en Afrique et en Asie en sont des signes précurseurs. Ces efforts n’apporteront peut-être pas de solution immédiate, mais ils laissent entrevoir un avenir plus diversifié. L’objectif est de réduire l’exposition à des décisions prises ailleurs, sans concertation. Il reste à voir si ce basculement sera durable.

La question de la justice commerciale et de la responsabilité historique se pose également. De nombreuses économies aujourd’hui pénalisées ont été incitées pendant des décennies à s’intégrer aux marchés mondiaux en misant sur des exportations à forte intensité de main-d’œuvre. Des programmes d’assistance technique, des stratégies des donateurs et des accords bilatéraux les ont orientées dans cette direction. L’introduction soudaine de tarifs punitifs, sans prise en compte des contraintes structurelles de ces économies, crée un sentiment de double standard. Les pays en développement sont appelés à respecter les principes du libre-échange, tandis que les grandes puissances s’autorisent des marges de manœuvre stratégiques.

L’asymétrie est également visible dans la manière dont certains accords commerciaux sont structurés. Les exportateurs africains doivent souvent s’acquitter de droits de douane élevés sur leurs marchandises, tout en étant tenus de laisser entrer des importations transformées en franchise de droits. Ces dispositions limitent leur marge de manœuvre politique et compliquent la mise en œuvre de stratégies industrielles. En pratique, ces pays restent confinés aux segments à faible valeur ajoutée des chaînes de production, tout en important à prix fort des produits qu’ils pourraient eux-mêmes fabriquer. La vague actuelle de tarifs aggrave ce déséquilibre.

Le système commercial mondial en subit également un coût en termes de réputation. Lorsque le commerce devient un instrument d’application sélective, la confiance dans son équité s’érode. Cela ne concerne pas uniquement les plus petits pays. Des économies en développement de taille moyenne, comme l’Indonésie ou le Nigeria, observent la situation avec attention. Si elles en viennent à considérer que les règles commerciales sont contingentes plutôt que constantes, leur engagement dans les institutions mondiales pourrait évoluer. Cela aurait des conséquences sur la croissance mondiale et la coopération internationale.

L’administration américaine a laissé entendre qu’elle pourrait ajuster certaines modalités, mais les exceptions restent rares et traitées au cas par cas. Une approche plus constructive consisterait à rétablir les plateformes de dialogue, à accorder des exemptions fondées sur la vulnérabilité, et à réintroduire des mécanismes de sauvegarde pour les petits exportateurs. Le commerce n’opère pas en vase clos. Il est lié à l’adaptation climatique, à la viabilité de la dette et à la sécurité alimentaire. Des mesures qui négligent ces interconnexions risquent de résoudre un problème tout en en créant d’autres.

Il ne s’agit pas ici de favoriser un camp au détriment d’un autre. Les relations économiques entre nations sont complexes. La compétition stratégique continuera de façonner les décisions à Washington, Pékin, Bruxelles et ailleurs. Mais ces décisions doivent s’inscrire dans un cadre reconnaissant les responsabilités partagées et l’interdépendance. Les économies plus petites disposent de peu de pouvoir, mais leur rôle dans les chaînes d’approvisionnement mondiales et la durabilité environnementale est essentiel.

L’avenir dépendra de la volonté des grandes puissances de reconstruire la confiance avec leurs partenaires les plus vulnérables. Cela impliquera de revoir les coûts réels de politiques qui paraissent efficaces sur le papier, mais contribuent dans les faits à fragmenter le système commercial mondial.

Author: Muhammad Asif Noo is Founder Friends of BRI Forum, Advisor to Pakistan Research Center, Hebei Normal University.

This article reflects the author’s own opinions and not necessarily the views of Global Connectivities.

Auteur: Muhammad Asif Noor est le fondateur du Forum des Amis de la BRI, conseiller principal au Centre de Recherche du Pakistan à l’Université Normale du Hebei en Chine.

Cet article reflète les opinions personnelles de l’auteur et non nécessairement celles de Global Connectivities.

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