par Muhammad Asif NOOR
Les récentes discussions économiques et commerciales de haut niveau entre la Chine et les États-Unis, tenues à Genève, ont ouvert une fenêtre constructive dans un contexte mondial marqué par l’incertitude économique. Après plusieurs mois d’escalade tarifaire, les deux parties sont convenues de suspendre et de réduire un grand nombre des mesures commerciales agressives imposées depuis avril. Cette décision envoie un signal fort – non seulement aux acteurs bilatéraux concernés, mais également au monde entier – que la coopération et la communication entre grandes puissances restent possibles et essentielles.
Les négociations de Genève ont abouti à une déclaration conjointe confirmant un engagement mutuel en faveur de la désescalade. Les États-Unis ont accepté de supprimer 91 % des droits de douane additionnels introduits via deux décrets présidentiels, et de suspendre 24 % des droits réciproques pendant 90 jours, ne conservant qu’un tarif de base de 10 %. La Chine a réagi de manière symétrique : suppression de 91 % des contre-mesures tarifaires et suspension temporaire de 24 % des droits, tout en maintenant également un tarif de base de 10 %. Ces mesures entreront en vigueur le 14 mai 2025.
Ces ajustements sont significatifs, tant symboliquement que matériellement. Pour la première fois depuis la reprise de la guerre tarifaire par le président Trump plus tôt cette année, on observe un recul mesuré face à la confrontation. Les précédents cycles de tarifs, qui avaient atteint 145 % sur les produits chinois et 125 % sur les produits américains, ont lourdement pesé sur les chaînes d’approvisionnement mondiales, perturbé des échanges commerciaux de plus de 660 milliards de dollars, et contribué à la pression inflationniste dans le monde entier.
La structure et le ton des pourparlers de Genève ont une importance tout aussi considérable. Le vice-Premier ministre chinois, He Lifeng, qui dirigeait la délégation de Beijing, a souligné que les discussions avaient été approfondies, franches et constructives. Cette description n’était pas rhétorique, mais traduisait un véritable changement d’attitude : un passage de la confrontation au dialogue, fondé sur le respect mutuel et la volonté d’un bénéfice partagé. He Lifeng a également confirmé que les discussions avaient permis de réaliser des « progrès substantiels » et que les deux pays allaient désormais établir un mécanisme officiel de consultation économique et commerciale. Cette initiative institutionnalise le dialogue, en offrant une plateforme structurée pour la résolution des différends persistants.
Du côté chinois, ce processus a été mené avec une clarté stratégique. La Chine a fait preuve de retenue, a répondu de manière proportionnée aux actions américaines, et a attendu que les conditions soient réunies pour un réengagement digne. Ce moment ne découle pas d’une faiblesse, mais d’une position de force, reflet d’une diplomatie cohérente et d’une résilience économique. La position chinoise est fermement ancrée dans son engagement envers le multilatéralisme et une croissance inclusive. La diplomatie chinoise ne repose pas sur un axe unique : elle est globale, pragmatique, et de plus en plus perçue par les pays en développement comme un modèle alternatif de coopération sans conditions politiques. Le coût économique de la guerre tarifaire n’a d’ailleurs pas été limité à l’Asie.
Aux États-Unis, le secteur manufacturier a ralenti, les prix à la consommation ont augmenté, et les réseaux logistiques ont été mis sous pression. Les entreprises américaines, notamment dans les secteurs du commerce de détail, des jouets et de l’électronique, ont exprimé leurs inquiétudes. Plusieurs ont engagé des actions en justice contestant la légalité du régime tarifaire réciproque instauré par Trump, tandis que d’autres ont mis en garde contre un effondrement des chaînes d’approvisionnement. Le secrétaire au Trésor américain, Scott Bessent, qui a co-dirigé les négociations à Genève, a reconnu publiquement que les niveaux tarifaires s’apparentaient à un embargo économique, ajoutant qu’aucun des deux pays ne souhaitait un tel résultat. Ses propos reflètent une prise de conscience croissante à Washington : les mesures tarifaires extrêmes nuisent autant aux consommateurs qu’aux producteurs américains.
À Genève, la Chine a également accepté de lever certaines de ses mesures non tarifaires, notamment les sanctions contre des entreprises américaines et les restrictions à l’exportation de terres rares. Ce geste, bien qu’unilatéral, repose sur des principes. Beijing reste attaché à un commerce équitable fondé sur le droit international. Il continue de rejeter l’unilatéralisme, la coercition et la politisation des politiques économiques. Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Lin Jian, a rappelé que la coopération sincère nécessite respect et honnêteté, et non des jeux de reproches ou de transfert de responsabilités.
L’un des acquis les plus importants du processus de Genève est la création d’un mécanisme conjoint permanent pour la poursuite des discussions commerciales. Contrairement aux cycles précédents qui se terminaient par des trêves temporaires, cette avancée apporte de la continuité. Elle garantit que les futurs différends pourront être gérés sans faire courir au monde un nouveau risque de choc économique.
Les résultats de ces négociations devraient avoir un écho mondial, et seront suivis de près par les parties prenantes en Europe, en Asie, en Afrique et en Amérique latine. De nombreux pays sont également confrontés à de nouveaux tarifs américains et à l’incertitude qu’a connue la Chine. Le succès de cette démarche diplomatique offre un modèle viable : fondé sur la réciprocité, l’écoute mutuelle et le courage politique. Cela suscite aussi l’espoir que les États-Unis envisagent à l’avenir des dialogues structurés similaires avec d’autres acteurs, notamment les pays de l’ASEAN, l’Union africaine, et les blocs commerciaux d’Amérique latine.
L’accent mis par la Chine sur la « coopération gagnant-gagnant » n’est pas un simple slogan. C’est le socle de sa politique économique extérieure. L’accord de Genève en est la preuve : en acceptant de supprimer 91 % des tarifs et de suspendre les principales restrictions pendant trois mois, Beijing montre que la paix est toujours préférable à la perturbation, et que même dans un environnement compétitif, des résultats constructifs restent possibles.
D’un point de vue stratégique plus large, ce moment constitue un tournant. La pause de 90 jours offre désormais un espace pour repenser les positions à long terme. Le déficit commercial des États-Unis avec la Chine reste élevé – 263 milliards de dollars en 2024 – mais ce chiffre, à lui seul, ne saurait justifier une politique punitive. Les déséquilibres commerciaux sont structurels. Ils requièrent une coordination minutieuse, et non des tarifs généralisés. La Chine a exprimé sa volonté d’aborder les préoccupations communes, notamment l’accès aux marchés et les normes industrielles, mais uniquement dans un cadre fondé sur la parité et la légalité.
Il est donc essentiel que les États-Unis saisissent cette opportunité pour abandonner les politiques impulsives et revenir à une diplomatie institutionnelle. L’accord de Genève rappelle ce qui est possible lorsque les grandes puissances cessent de jouer pour leur opinion publique intérieure et commencent à s’écouter réellement. Pékin a présenté sa vision : consultation ouverte, respect de la souveraineté et croissance mondiale inclusive. Le monde attend désormais de voir si Washington répondra à cette offre avec sérieux. Le moment est venu pour les États-Unis d’égaler cette sagesse, et, ce faisant, d’offrir au monde un peu plus de certitude – et beaucoup plus d’espoir.
Auteur: Muhammad Asif Noor est le fondateur du Forum des Amis de la BRI, conseiller principal au Centre de Recherche du Pakistan à l’Université Normale du Hebei en Chine.
Cet article reflète les opinions personnelles de l’auteur et non nécessairement celles de Global Connectivities.