par Natasha FERNANDO
La Barrick Gold Corporation, fondée par Peter Munk en 1983, est l’un des plus grands producteurs d’or au monde. La société, dont le siège est à Toronto, est cotée à la fois à la Bourse de Toronto et à la Bourse de New York, et exploite des mines sur quatre continents et dans 18 pays, notamment dans des zones de conflit. Ses opérations minières à Reko Diq, dans la province fédéré du Baloutchistan, ont fait l’objet d’un examen international avec la décision de 2019 de la cour d’arbitrage de la Banque mondiale de contraindre le Pakistan à payer des dommages et intérêts de 5,84 milliards de dollars pour avoir suspendu les activités minières étrangères dans cette région. Le climat économique, sécuritaire et politique du pays a rendu difficile pour les nations investisseuses de mener des affaires au Pakistan. Cet article fournit un bref historique du projet Reko Diq et de ses implications pour les relations d’investissement du Canada, en particulier celles liées à la sécurité en raison de l’augmentation sporadique des attaques des séparatistes baloutches après la prise de contrôle de l’Afghanistan par les Talibans.
Aperçu du projet Reko Diq
Le projet minier Reko Diq, situé dans le district de Chagai de la province du Baloutchistan, est estimé contenir environ 5,9 milliards de tonnes de ressources minérales, y compris des dépôts de cuivre et d’or. Le Reko Diq se trouve sur l’arc magmatique tethyan, qui est une formation géologique riche en minéraux de terres rares. Différentes entreprises ont eu des participations variées dans le projet depuis 1993. La première entreprise à manifester son intérêt pour Reko Diq était le géant minier australien BHP Billiton. Ils ont signé l’accord de coentreprise d’exploration des collines de Chagai (CHEJVA) en 1993 avec le gouvernement du Baloutchistan, mais les activités ont été suspendues et la participation a été transférée à Mincor Resources, une autre entreprise australienne, en 2000. En 2006, la Tethyan Copper Company (TCC) a acquis Mincor. TCC était une coentreprise entre Barrick Gold et la société chilienne Antofagasta, chacune détenant une participation de 50 % dans les activités minières de ce qui était auparavant Mincor.

En 2007, TCC a recherché un accord minier avec le Pakistan pour lequel une étude de faisabilité sur l’exploitation du cuivre et de l’or a été réalisée en 2010. Cette demande de bail minier soumise au gouvernement du Baloutchistan a été rejetée en 2011. Le gouvernement a recherché une plus grande participation locale dans le projet. TCC, qui avait investi plus de 220 millions de dollars dans le projet, a demandé un arbitrage et réclamait des dommages de 11,43 milliards de dollars au Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) en 2012. Plusieurs pétitionnaires ont fait appel devant la Cour suprême du Pakistan, qui a déclaré le CHEJVA nul, retirant ainsi à TCC les droits d’exploiter à Reko Diq. Parmi les pétitionnaires figuraient Maulana Abdul Haq Baloch (du parti Jamaat-i-Islami) et Azam Khan Swati (du parti Pakistan Tehreek-e-Insaf), les défendeurs étant le gouvernement du Baloutchistan et TCC. Au moment de la décision, le gouvernement du Baloutchistan était constitué d’une coalition du Parti national, de la Ligue musulmane du Pakistan (Nawaz), de la Jamiat Ulema-e-Islam (Fazl) et du Pakhtunkhwa Milli Awami Party. En 2013, les élections générales ont eu lieu avec de multiples attaques d’insurgés contre les partis politiques pour empêcher la tenue des élections, puisque le gouvernement central voulait que des partis favorables à l’armée pakistanaise soient au pouvoir au niveau fédéral, tandis que les insurgés et leurs partisans préféraient un parti avec un rôle moindre pour l’armée. Ce dilemme continue d’affecter la stabilité politique de la région, entravant les affaires.
En 2019, le CIRDI a statué en faveur de TCC en lui accordant 5,84 milliards de dollars en dommages-intérêts, citant la violation par le Pakistan du traité bilatéral d’investissement Australie-Pakistan. En refusant illégalement le bail minier à TCC, l’entreprise avait subi des pertes financières et opérationnelles importantes. La décision de la cour était donc basée sur la juste valeur marchande du projet pour ses investissements réels et les profits futurs perdus. Il est important de noter ici que TCC a invoqué le traité bilatéral Australie-Pakistan pour déposer la réclamation auprès du CIRDI, car la TCC est constituée en Australie malgré le fait que ses sociétés mères soient basées au Canada et au Chili. La participation significative de Barrick Gold dans l’affaire a donc de multiples implications sur les relations Canada-Pakistan et les relations plus larges du Pakistan avec ses investisseurs étrangers.
Quelles sont les implications pour le Canada?
La décision du CIRDI en faveur de TCC a des impacts significatifs sur la confiance des investisseurs entre le Canada et le Pakistan. Premièrement, la décision a conduit à une renégociation de la propriété du projet comme mis à jour sur le site Web de Barrick Gold : « Reko Diq est détenu à 50 % par Barrick, 25 % par trois entreprises d’État fédérales, 15 % par la province du Baloutchistan sur une base entièrement financée et 10 % par la province du Baloutchistan sur une base gratuite ». Deuxièmement, la décision a ajouté une pression sur le gouvernement pakistanais pour qu’il résolve sa perspective d’investissement étranger. Au moment de la décision, le Pakistan était en grave crise économique et avait demandé l’aide du Fonds monétaire international pour obtenir un plan de sauvetage de 6 millions de dollars pour stabiliser l’économie. Devoir payer des dommages-intérêts à TCC à peu près au même moment met une pression importante sur le Pakistan pour améliorer ses politiques d’investissement et leurs cadres juridiques. Troisièmement, la décision s‘est montrée utile pour d’autres entreprises qui envisagent de faire des affaires au Pakistan avec une meilleure compréhension des défis économiques, politiques et sécuritaires auxquels le pays et leurs investissements respectifs sont confrontés.
La dernière évolution concernant ce projet est l’entrée de Manara Minerals d’Arabie saoudite avec un investissement de 1 milliard de dollars, ce qui pourrait modifier la dynamique de la propriété du projet. Le PDG de Barrick Gold, Mark Bristow, a déclaré aux médias que l’entreprise ne diluerait pas sa participation dans le projet, mais qu’elle accueillerait favorablement une décision du Fonds d’investissement public d’Arabie saoudite d’acheter la participation du Pakistan dans le projet. Barrick Gold exploite déjà un projet de cuivre à Jeddah en Arabie saoudite, donc un partenariat prévisible avec la nation du Golfe pourrait avoir des implications géopolitiques plus larges pour le Pakistan. D’une part, cette participation renforcerait la Vision 2023 de l’Arabie saoudite qui a pour objectif de réduire la dépendance du royaume au pétrole pour diversifier son économie en exploitant d’autres sources de revenus. Cela pourrait encourager d’autres nations du Conseil de coopération du Golfe à emboîter le pas, renouvelant l’intérêt des nations du Golfe pour l’Asie du Sud. Cela pourrait potentiellement servir de contrepoids à l’influence de la Chine dans la région. En particulier au Pakistan, avec le Corridor économique Chine-Pakistan, l’intérêt de l’Arabie saoudite pourrait contrebalancer l’implantation chinoise.
Défis sécuritaires
Cependant, l’objectif de Barrick Gold de commence ses activités d’extraction à Reko Diq d’ici 2028 est compliqué par l’instabilité de la situation économique, politique et sécuritaire du Pakistan. La région fédérée du Baloutchistan abrite de nombreux groupes terroristes, y compris des groupes séparatistes baloutches et des groupes islamistes, principalement : l’Armée de libération du Baloutchistan, le Front de libération du Baloutchistan, l’État islamique, Lashkar-e-Jhangvi et Tehreek-e-Taliban Pakistan. L’une des principales raisons de la prolifération de ces groupes terroristes, en particulier les groupes séparatistes, est la perception que la région est exploitée pour ses ressources, laissant la population locale appauvrie et marginalisée. Le ressentiment croissant de la population locale envers les projets chinois et les entreprises étrangères qui exploitent des mines dans la région a également été exploité par ces groupes insurgés. Le lien croissant entre les insurgés baloutches et les groupes islamistes comme le Tehreek-e-Taliban Pakistan a étendu les capacités opérationnelles de ces groupes, rendant difficile pour les entreprises de poursuivre leurs activités sans entrave. La prise de contrôle de l’Afghanistan par les Talibans en particulier a contribué à cette augmentation des capacités. Au premier trimestre de 2024 seulement, les militants baloutches ont mené 62 attaques avec la brigade Majeed de l’Armée de libération du Baloutchistan impliquée dans des opérations suicides complexes.
Conclusion
Le projet Reko Diq de la Barrick Gold Corporation dans le Baloutchistan, au Pakistan, fait face à des défis significatifs en raison de l’instabilité économique, politique et sécuritaire. Le projet a été entaché par des litiges juridiques, entraînant une indemnité de 5,84 milliards de dollars contre le Pakistan. La situation sécuritaire est compliquée par la présence de divers groupes militants, rendant les opérations minières plus difficiles. L’implication potentielle de Manara Minerals d’Arabie saoudite pourrait influencer la géopolitique régionale et modifier la dynamique du projet.
Auteure: Natasha Fernando est une experte indépendante du Sri Lanka, spécialisée dans l’Indopacifique.