par Sébastien GOULARD
En mai 2024, le gouvernement péruvien a remis en cause l’accord conclu avec l’entreprise chinoise COSCO concernant la gestion du nouveau terminal portuaire de Chancay. Celui-ci constituait un élément important de la stratégie chinoise de l’initiative « Belt and Road » en Amérique du sud. Est-ce à dire que le partenariat avec la Chine est menacé, ou plutôt qu’il évolue ?
COSCO et le port de Chancay
En 2019, l’entreprise chinoise COSCO, leader mondial dans la logistique portuaire faisait l’acquisition de 60% du capital de « Terminales Portuarios Chancay SA » pour 225 millions de dollars. Il s’agissait alors du premier port contrôlé par le groupe basé à Hong Kong en Amérique du sud. Allié à la société minière péruvienne Volcan Compañía Minera, COSCO a alors pour objectif d’augmenter le trafic maritime entre les deux rives du Pacifique. La première phase du projet consistait à construire un nouveau terminal à quais offrant une capacité de 1 million de TEU. A terme, le port aurait une capacité de 5 millions de TEU. Le port de Chancay deviendrait ainsi le principal hub logistique du groupe COSCO en Amérique latine.
En 2021, le groupe COSCO recevait de l’autorité portuaire nationale péruvienne l’exclusivité de l’exploitation du port de Chancay. Cependant, en début d’année, ce même organisme a déclaré qu’il n’avait pas l’autorité pour accorder ce droit et souhaitait faire annuler la décision par un juge. Sans ce droit d’exclusivité, d’autres opérateurs pourraient utiliser le port de Chancay.
Pour COSCO, comme pour le gouvernement péruvien, la priorité est de trouver un accord à l’amiable qui bénéficiera à l’ensemble des parties sans retarder la construction du port de Chancay. Si les négociations n’avançaient pas, les deux parties pourraient présenter le différend devant une cour d’arbitrage comme le permet le traité de libre-échange signé par le Pérou et la Chine en 2009. Mais, le parlement péruvien pourrait rapidement passer une loi pour résoudre ce différend.
Malgré cette incertitude juridique, la construction du port se poursuit. Ainsi, en avril 2024, les infrastructures étaient réalisées à 70% et le port devrait être inauguré en novembre prochain à l’occasion du sommet des Leaders de l’APEC (Asia Pacific Economic Cooperation).
Pour mener ce projet, l’entreprise COSCO-Chancay a bénéficié d’un prêt de 975 millions de dollars sur 15 ans de la part d’un consortium de banques chinoises comprenant notamment la « Bank of Communications » et la « China Minsheng Banking Corp. ». Le montage financier du projet a nécessité trois ans, et une erreur administrative ne peut le remettre en question, sans impacter la réputation de Lima. L’ensemble du projet est estimé à 3,5 milliards de dollars.
Un projet favorisant l’intégration en Amérique latine
Grâce à ses dimensions, le port de Chancay devrait devenir la principale porte d’entrée de l’Amérique latine sur le Pacifique et les marchés asiatiques. C’est la raison pour laquelle le projet est aussi soutenu par certains voisins du pays tel que le Brésil qui pourrait exporter plus facilement sa production agricole de ses régions enclavées à l’Ouest vers la Chine. La construction du port de Chancay s’accompagne donc de la réalisation de nouvelles infrastructures routières, notamment pour connecter Chancay à la route Panaméricaine Nord. Un tunnel de 1,8 kilomètre est aussi en train d’être construit sous la ville de Peralvillo.
Un projet contesté
La récente remise en cause du rôle de COSCO dans ce projet traduit certaines préoccupations notamment au niveau politique sur l’influence de la Chine à Chancay. Comme pour de nombreux projets financés par la Chine, des inquiétudes ont été formulées sur les questions de défense et un possible double usage du port par la Chine. Si aujourd’hui, celles-ci restent peu réalistes, demeurent en revanche des préoccupations sur les aspectss sociuxl et environnementaux du projet.
Malgré les opportunités économiques et les emplois qu’offrira le nouveau port, une partie de la population conteste ce projet. Des habitants redoutent les conséquences du projet sur leurs activités quotidiennes et craignent que la construction du port et de ses infrastructures se fasse aux dépens d’autres infrastructures de première nécessité, notamment concernant la gestion des eaux, des projets qui pour certains sont attendus depuis plus de soixante ans.
Le développement du port entraînera aussi des conséquences sociales importantes, puisque certains pêcheurs locaux devront abandonner leur emploi. Des habitations ont déjà été endommagées en raison des vibrations causées par les premiers travaux, ce qui accélère le départ des populations locales qui doivent quitter leur logement.
D’autre part, des associations environnementales s’inquiètent aussi de l’impact du nouveau port sur le littoral de cette région du Pérou. Pour réaliser les nouvelles infrastructures, l’assainissement d’une partie des zones humides est nécessaire mais détruira l’habitat de certaines espèces endémiques.
Pour COSCO, il y a un enjeu à paraître comme une société responsable préoccupée par les conséquences sociales et environnementales de ses travaux de construction. Ainsi, son site internet indique que le port de Chancay aura les standards technologiques et écologiques (eco-friendly) les plus élevés. Le groupe chinois finance ainsi des initiatives à destination des habitants tels que des programmes éducatifs pour les écoles locales et des actions de protections de l’environnement, notamment sous-marin.
Le groupe COSCO, comme d’autres groupes chinois participant à de grands projets d’infrastructures à l’étranger, a déjà été confronté à des revendications sociales et environnementales de la part de la population locale. Son expertise à répondre à ces questions est plus forte qu’auparavant. Ces efforts doivent redoubler pour transformer son image et apaiser le dialogue avec les habitants, mais aussi pour ne pas être entrainer dans les débats politiques nationaux.
Le port de Chancay sera le premier port privé à usage publique du Pérou. Le développement du port ne manquera pas d’influencer positivement les relations entre Lima et Beijing. Il est dans l’intérêt de toutes les parties que le projet soit accepté par la population.
Cet épisode entre Lima et COSCO n’a néanmoins pas empêché un autre groupe chinois, Jinzhao, de remporter l’appel d’offre présenté par le gouvernement péruvien pour la construction d’un terminal portuaire à San Juan de Marcona sur la côte sud du pays, à près de 600 kilomètres de Lima. Le groupe chinois devrait investir 405 millions de dollars dans un nouveau terminal destiné à les exportations de minerais.
Auteur: Sébastien Goulard est le fondateur et rédacteur de Global Connectivities.