Le CEPC : un Corridor Prêt à s’Internationaliser

Le Corridor Economique Chine Pakistan (CECP) doit mieux prendre en compte les besoins de la société pakistanaise.

par Sébastien GOULARD

Aujourd’hui, le Corridor économique Chine-Pakistan (CECP) est le segment le plus avancé de la « Belt and Road Initiative » (BRI) chinoise. Le fait qu’il n’implique que deux nations, la Chine et le Pakistan, facilite la mise en œuvre relativement rapide de projets d’infrastructures, alors que d’autres corridors de la BR souffrent de nombreux retards. De plus, les deux parties sont très motivées pour réaliser ce corridor. Pour le Pakistan, le CECP est devenu un pilier de sa stratégie de développement, reliant toutes ses provinces, modernisant ses infrastructures et structurant ses politiques économiques autour d’un projet unifié. De même, la Chine considère le CPEC comme le moyen le plus direct d’optimiser le développement économique de ses provinces occidentales, et plus précisément du Xinjiang.

Cependant, le CECP ne devrait pas être perçu uniquement comme un projet reliant les régions occidentales de la Chine au Pakistan. Les aspirations de Beijing, que Islamabad devrait partager, visent à créer des connexions entre la Chine, le Pakistan, et le reste du monde, en particulier l’Afrique de l’Est et la région du Golfe, et finalement l’Europe via l’océan Indien et le canal de Suez. Le but ultime est de raccourcir les routes maritimes en créant une alternative au détroit de Malacca et en établissant de nouvelles voies maritimes, transformant Karachi et Gwadar en nouveaux pôles commerciaux. Ainsi, le CECP n’est pas exclusivement réservé au Pakistan et à la Chine ; son internationalisation est une ambition significative. Par conséquent, Beijing a constamment encouragé les entreprises étrangères à investir dans les projets du CECP. Il n’est pas dans l’intérêt de la Chine d’être le seul investisseur étranger dans ce corridor ; attirer des entreprises étrangères non chinoises est crucial pour accélérer le développement de ce projet. De plus, le Pakistan ne souhaite pas que la Chine soit son seul partenaire étranger dans le CECP, car un ralentissement potentiel de l’économie chinoise pourrait affaiblir l’ensemble du CECP. Quelques États, tels que l’Arabie saoudite et Oman, ont répondu positivement à cette invitation en réalisant d’importants investissements dans des projets d’infrastructures, notamment à Gwadar. Cependant, ces initiatives sont souvent motivées politiquement. Le CECP reste relativement peu attractif pour d’autres pays et même pour les entreprises de taille moyenne, y compris les entreprises chinoises.

Pour que le CECP réussisse dans son rayonnement mondial, deux conditions doivent être remplies. La première est la sécurité. Malheureusement, le Pakistan continue à faire face à des menaces terroristes élevées, et les intérêts chinois ont été visés à plusieurs reprises par des actions violentes. Jusqu’à présent, le terrorisme n’a pas empêché les entreprises d’État chinoises d’opérer et d’investir au Pakistan, mais il a ralenti la mise en œuvre du projet. Ce terrorisme pourrait dissuader les investisseurs étrangers potentiels, en particulier en ce qui concerne les projets de moindre envergure qui pourraient ne pas bénéficier du même niveau d’attention en matière de sécurité que les grands projets d’infrastructures. De même, l’instabilité politique pourrait être un obstacle au développement rapide des projets du CECP. Les investisseurs chinois et internationaux doivent être conscients des principales orientations économiques adoptées par le gouvernement pakistanais, et l’instabilité politique pourrait détourner l’attention des dirigeants pakistanais du CECP.

La deuxième condition est étroitement liée à la première : l s’agit de garantir l’inclusion des communautés locales dans le CECP. Les Pakistanais des régions traversées par le CECP devraient bénéficier des nouvelles opportunités créées par ce projet, réduisant ainsi le risque de terrorisme. Toute la population devrait avoir un intérêt dans ce corridor, et les nouvelles infrastructures liées au CECP ne devraient pas compromettre les activités économiques de la nation. Par exemple, les nouveaux projets portuaires à Gwadar ne devraient pas avoir d’impact négatif sur l’industrie traditionnelle de la pêche locale. Pour cela, le Pakistan peut s’inspirer directement de l’exemple chinois. Le succès de la politique d’ouverture de la Chine dans les années 1980 n’était pas uniquement basé sur de nouvelles infrastructures, mais principalement sur le soutien à l’entrepreneuriat. Les villes côtières chinoises ont attiré des entreprises étrangères (souvent initialement détenues par la diaspora chinoise) et des migrants d’autres provinces. Elles ont également permis aux résidents locaux, notamment dans le Guangdong et le Fujian, de démarrer de nouvelles entreprises commerciales et industrielles. La terre n’était pas monopolisée par des responsables d’autres provinces, et toutes les parties prenantes locales, des agriculteurs ordinaires aux dirigeants municipaux, avaient un intérêt dans le succès de ces nouveaux projets établis. Le contexte actuel au Pakistan est différent ; il ne s’agit pas de passer à un nouveau système économique, comme la Chine l’a fait dans les années 1980.

Jusqu’à présent, le CECP s’est principalement concentré sur les infrastructures physiques nécessaires au transport. Ces nouveaux corridors sont essentiels pour relier le nord et le sud du Pakistan et bientôt, l’ouest de la Chine, mais ils ne suffisent pas à garantir le succès et l’internationalisation du CPEC. Au-delà des infrastructures, le CECP doit également avoir un impact sur le capital humain de la société pakistanaise. D’une part, la main-d’œuvre doit être qualifiée pour rendre le secteur industriel plus attractif pour les investisseurs étrangers, y compris chinoises. Des programmes éducatifs sont déjà renforcés, comme dans le Baloutchistan, la province où se trouve Gwadar. D’autre part, des initiatives doivent être entreprises pour libérer le potentiel des entrepreneurs pakistanais. Ainsi, le CECP permettra non seulement de relier la Chine à l’océan indien mais aussi de permettre aux entreprises du monde entier de trouver de nouveaux partenaires commerciaux et industriels au Pakistan. Alors que la construction de routes, de chemins de fer et de ports pour le CPEC représente une première étape cruciale, autonomiser les entrepreneurs pakistanais en est la deuxième et la plus ambitieuse. Ce n’est qu’alors que le CECP deviendra vraiment international.

Auteur: Sébastien Goulard est le fondateur et rédacteur de Global Connectivities.

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