Premières turbulences pour la BAII

Le Canada pense à quitter la Banque Asiatique pour les Investissements dans les Infrastructures.

par Sébastien GOULARD

Le Canada  continuera-t-il à siéger à la Banque Asiatique d’Investissement pour les Infrastructures (BAII)? Début juin 2023, Bob Pickard, directeur général de la communication de la BAII, annonçait sa démission, en justifiant sa décision par la trop grande influence du Parti Communiste Chinois sur les décisions de la BAII. Cette démission a entrainé le gel des activités menées par le Canada au sein de la banque multilatérale. La ministre des finances canadienne Mme. Chrystia Freeland annonçait la menée d’une enquête. Dans le cas d’une ingérence chinoise, le Canada pourrait décider de quitter la BAII. D’autres capitales occidentales pourraient alors suivre Ottawa. Pour Beijing, il est crucial que la BAII conserve sa légitimité. Contrairement à l’initiative « Belt and Road » (BRI), autre projet international porté par la Chine, la BAII a réussi à réunir autour d’un même projet, celui d’une nouvelle banque de coopération, une large partie de la communauté internationale, dont l’Europe Occidentale, menée par le Royaume-Uni, et l’Inde ; des partenaires qui étaient réticents à la BRI chinoise.

L’influence de la Chine à la BAII

La BAII, dont les activités ont commencé en 2015, peut être vue comme une tentative de la Chine de proposer une alternative à la Banque Asiatique de Développement où l’influence des Etats-Unis et du Japon (deux grands absents de la BAII) se fait présente. Mais dans les faits, BAII et BAD collaborent sur des projets communs. De fait, la BAII est très bien intégrée au système international des banques de financement multilatéral.

La BAII ne fonctionne pas différemment des autres banques de développement, même si le poids de la Chine, qui détient un droit de véto, y est conséquent. En effet, la Chine possède 26,6% des droits de vote alors qu’une majorité de 75% est nécessaires sur les décisions importantes. Les Etats-Unis disposent d’un droit de véto similaire à la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement avec 15,73% alors que les décisions sont prises à une majorité de 85%. 

Le poids des droits de vote des Etats membres de l’Union Européenne au sein de la BAII, quant à lui, s’élève à environ 18%. Les Européens pèsent donc sur les décisions de la banque multilatérale en créant des coalitions avec certains pays de l’Indopacifique.

Les destinations des financements de la BAII

Si l’on s’intéresse aux projets qui ont été financés jusqu’alors par la BAII, on constate que la Banque a participé au financement de projets dans de nombreux pays, qu’ils soient autocratiques ou démocratiques, y compris au sein de l’Union Européenne, comme en Roumanie (100 millions d’euros versés pour un projet de finance verte de la Banca Transilvania).

Depuis 2016, sur un total d’environ 40 milliards de dollars, près de 20% des financement accordés par la BAII ont été destinés à l’Inde. Au second rang arrive la Turquie, puis la Chine, et en quatrième position le Bangladesh. Le monde et notamment l’Asie, a besoin de ces financements. Selon une étude de la BAD, l’Asie a besoin d’investissements à hauteur de 1 700 milliards de dollars par an dans ses infrastructures.

Les projets financés appartiennent généralement aux secteurs de l’énergie, des transports et télécommunications, de l’agriculture, de la gestion des eaux, du développement urbain, de la, logistique, et de la protection environnementale.

Une banque de valeurs

Tout comme la Banque Mondiale, la BAII communique sur ses valeurs que sont le développement durable, sa bonne gouvernance et sa souplesse.  

La Banque possède un panel d’experts, mais on peut regretter qu’il lui manque encore un comité d’éthique, qui serait composé de représentants d’associations et qui permettrait certainement de mieux lutter contre de potentiel conflits d’intérêts.

Cette première crise majeure que traverse la BAII témoigne de la fragilité de cette jeune structure. Construite comme rivale de la Banque Mondiale et de la Banque Asiatique de Développement, elle fonctionne, en réalité, de la même manière que les autres institutions internationales. Cependant, le fait qu’elle soit née de la volonté de la Chine et le poids de cette puissance dans son fonctionnement, peuvent rendre la communauté internationale soupçonneuse de l’influence chinoise dans ses activités. Il est donc important pour les autorités de la BAII de multiplier les initiatives permettant d’affirmer leur indépendance et de rendre son fonctionnement plus transparent encore. Il est aussi nécessaire pour la Chine, désireuse de renforcer la crédibilité de la banque qu’elle a créée, de limiter son pouvoir au sein de la BAII. Le développement de l’Asie mérite une plus grande indépendance de la BAII, un instrument de très bonne qualité pour financer ses projets.

Auteur: Dr. Sébastien Goulard est le fondateur et rédacteur de Global Connectivities.

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