Les terres rares et le rééquilibrage du commerce mondial

La nouvelle politique chinoise sur les terres rares reflète une volonté de protection stratégique plutôt que de confrontation.

par Muhammad Asif NOOR

En octobre 2025, le ministère chinois du Commerce a annoncé de nouvelles mesures de contrôle à l’exportation des terres rares, par le biais des décrets n° 61 et 62. Ces dispositions élargissent le régime de licences au-delà des minerais bruts pour inclure les métaux raffinés, les aimants et les technologies d’extraction. Désormais, même les produits fabriqués à l’étranger contenant plus de 50 % de composants d’origine chinoise sont soumis à examen. Beijing insiste toutefois sur le fait qu’il ne s’agit pas d’interdictions. Les exportations à usage civil se poursuivront sous licence, et un mécanisme de « canal vert » est en cours de développement pour faciliter les échanges légitimes. Les autorités chinoises affirment que cette initiative vise à prévenir une utilisation militaire de matériaux sensibles tout en garantissant la stabilité des approvisionnements.

Cette annonce est intervenue au lendemain de l’imposition par Washington de droits de douane de 100 % sur certains produits chinois, ainsi que du renouvellement des restrictions sur les exportations de logiciels. Pour la Chine, ces contrôles ne constituent pas une démarche de confrontation, mais un acte de protection visant à défendre ses intérêts technologiques et industriels, après plusieurs mois de pressions croissantes de la part des États-Unis. Lors de son point presse du 16 octobre, Beijing a accusé Washington de « parler de dialogue tout en brandissant de nouvelles menaces », appelant à un respect mutuel dans la gestion des industries critiques.

Les terres rares occupent une place centrale dans cette rivalité, car elles représentent à la fois une valeur économique et un levier stratégique. La Chine assure actuellement près de 87 % du traitement mondial des terres rares, tandis que les États-Unis contrôlent environ 12 % de l’extraction minière, tout en étant le plus grand consommateur – notamment dans les secteurs de la défense et des technologies. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la demande mondiale pour ces minéraux pourrait être multipliée par sept d’ici 2040, portée par la transition énergétique verte. Ce déséquilibre entre production et consommation rend le secteur particulièrement vulnérable aux tensions géopolitiques.

Néanmoins, la réaction mondiale à la dernière initiative de la Chine a été plus mesurée que par le passé. Les prix des terres rares ont brièvement augmenté avant de se stabiliser, une fois que le ministère chinois du Commerce (MOFCOM) a réaffirmé son engagement envers les exportations civiles. Les entreprises européennes ont salué la proposition de « canal vert », la considérant comme un signe de modération plutôt que d’escalade. Les analystes soulignent que les nouvelles mesures visent spécifiquement les technologies à double usage, et non l’ensemble de l’industrie manufacturière, ce qui laisse penser que Beijing fait preuve de précision réglementaire plutôt que de coercition économique.

Cette situation illustre également la manière dont les grandes puissances considèrent désormais le commerce comme un prolongement de leur sécurité nationale. Les États-Unis, longtemps défenseurs du libre-échange, recourent désormais régulièrement aux droits de douane et aux interdictions d’exportation pour freiner l’ascension technologique de la Chine. Cette dernière, de son côté, intègre désormais sa stratégie économique à sa politique de sécurité, en utilisant les contrôles non pas pour s’isoler, mais pour se protéger. Il ne s’agit donc pas d’un découplage, mais d’une restructuration de l’interdépendance mondiale selon de nouvelles règles de prudence.

Les efforts de la Chine pour affiner son système de licences et la volonté américaine de diversifier ses sources d’approvisionnement pourraient se compléter, à condition d’être encadrés par une supervision internationale. Des institutions multilatérales telles que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou l’Agence internationale de l’énergie (AIE) pourraient contribuer à concevoir un mécanisme neutre de suivi de la stabilité et de la durabilité des chaînes d’approvisionnement.

Ce que l’on oublie souvent dans ce débat, c’est que les terres rares ne sont pas seulement une question de technologie, mais aussi de pouvoir : qui contrôle l’innovation, qui définit la durabilité, et qui établit les règles de l’ordre numérique mondial. L’ère d’un contrôle unilatéral des chaînes d’approvisionnement touche à sa fin. La prochaine phase nécessitera un réseau d’interdépendance fondé sur la confiance, la régulation et une gouvernance partagée, en remplacement de l’illusion de la domination unique.

En ce sens, la politique chinoise en matière de terres rares rappelle la nécessité de retenue et de réforme. Les États-Unis doivent eux aussi reconnaître que la stabilité durable ne repose pas sur la coercition, mais sur la coopération. Les deux pays disposent des moyens — et de la responsabilité — de rendre ce système plus équitable.

Muhammad Asif Noor

Muhammad Asif Noor est le fondateur du Forum des Amis de la BRI.

Il est conseiller principal au Centre de Recherche du Pakistan à l’Université Normale du Hebei en Chine.

Cet article reflète les opinions personnelles de l’auteur et non nécessairement celles de Global Connectivities.

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