Le Pakistan à la croisée des chemins : vers l’émergence d’un hub commercial et de connectivité du sud de l’Eurasie

Le Pakistan cherche à passer d’une position périphérique à un rôle central géo-économique pour relier l’Asie centrale aux marchés mondiaux.

par Farwa IMTIAZ

Situé au point de rencontre de l’Asie du Sud, de l’Asie centrale, de la Chine et de la mer d’Arabie, le Pakistan bénéficie d’une position géographique dont le potentiel en tant que plateforme commerciale et de transit continue d’être exploré. À mesure que les dynamiques régionales évoluent et que la demande de corridors commerciaux et énergétiques plus diversifiés s’accroît, le Pakistan transforme son image : d’une périphérie passive des rivalités entre grandes puissances, il aspire à devenir un nœud actif de connexion eurasiatique. Ce glissement de la géopolitique vers la géo-économie constitue le socle de la stratégie pakistanaise contemporaine, qui vise à mobiliser la géographie, les infrastructures et la diplomatie pour relier l’Asie centrale, la Chine, le Moyen-Orient et les marchés mondiaux.

Une vision politique : objectifs de connectivité et d’intégration du Pakistan

En décembre 2025, lors du premier Forum de Tianshan à Urumqi (Xinjiang), le ministre pakistanais de la Planification, Ahsan Iqbal, a présenté une vision ambitieuse visant à faire du Pakistan le pôle de connectivité le plus efficace, fiable et rentable reliant l’Asie centrale, la Chine, l’Asie du Sud et le Moyen-Orient. Dans ce cadre, un dispositif d’intégration reposant sur quatre piliers a été dévoilé à Islamabad : un groupe de travail conjoint sur la connectivité économique et la facilitation des échanges, le co-développement de zones économiques spéciales régionales (R-SEZ), un Partenariat eurasiatique pour la transition énergétique, ainsi qu’une Route de la soie numérique et une Alliance pour les compétences du futur (intelligence artificielle, fintech, cybersécurité et coopération numérique).

Le ministre Iqbal a souligné que, dans le cadre du Corridor économique Chine-Pakistan (CPEC), le Pakistan a déjà ajouté environ 8 000 mégawatts de capacité à son réseau électrique national, construit plus de 1 000 kilomètres d’autoroutes modernes et rendu opérationnel le port de Gwadar, qui constitue l’infrastructure de base des zones industrielles, des corridors numériques et de la coopération énergétique. Avec un tel programme, le Pakistan ambitionne de passer du statut d’État de transit à celui de hub de transit, offrant l’accès le plus court, le plus rapide et le plus rentable à la mer d’Arabie. Les autorités pakistanaises estiment que la seule route passant par Gwadar permettrait de réduire jusqu’à 70 % le temps de transit des marchandises expédiées depuis le Xinjiang et l’Asie centrale.

La mise en œuvre bilatérale : visite kirghize et initiatives commerciales

La visite de haut niveau du président de la République kirghize à Islamabad en décembre 2025 — la première visite présidentielle kirghize au Pakistan depuis vingt ans — confère une dimension concrète à la vision pakistanaise de connectivité. Au cours de cette visite, les deux parties se sont accordées sur la nécessité d’accélérer la finalisation d’un accord de transit commercial longtemps en suspens, avec l’espoir explicite de porter les échanges bilatéraux à 100 millions de dollars. À l’heure actuelle, le volume des échanges demeure toutefois limité : selon le rapport de l’exercice budgétaire, le commerce bilatéral a diminué d’environ 11,2 millions de dollars pour s’établir à près de 5,18 millions.

Le commerce n’est pas le seul axe prioritaire : l’énergie et la connectivité occupent également une place centrale. Le Pakistan et le Kirghizstan ont renouvelé leur engagement à mettre en œuvre pleinement et avec succès le projet CASA-1000, une initiative régionale de transmission électrique visant à acheminer vers le Pakistan les excédents d’hydroélectricité produits au Kirghizstan et au Tadjikistan. La visite a également inclus un forum d’affaires destiné à mobiliser le secteur privé, soulignant que les infrastructures et la connectivité, à elles seules, sont insuffisantes : la participation active au commerce et à l’investissement est indispensable pour libérer tout le potentiel de ces corridors.

Les infrastructures et l’énergie : ports, corridors et projets électriques

Le port de Gwadar, aujourd’hui au cœur d’une stratégie logistique régionale élargie — tant maritime que terrestre — constitue le pilier de la dynamique géo-économique du Pakistan. Le gouvernement prévoit d’y intégrer un nouvel aéroport international, d’accroître la capacité portuaire, de mettre en place des entrepôts sous douane, des installations frigorifiques et des technologies de port intelligent dans le cadre du plan d’action pour les affaires maritimes (2025-2029) d’Islamabad.

Ces projets visent à faire de Gwadar un centre moderne de transbordement, offrant aux marchandises d’Asie centrale et de Chine un accès direct à la mer d’Arabie, et donc aux routes maritimes mondiales, sans emprunter des itinéraires plus longs traversant de multiples frontières. Parallèlement, des infrastructures énergétiques telles que CASA-1000 relieront le Pakistan aux excédents hydroélectriques d’Asie centrale, contribuant à atténuer les pénuries énergétiques nationales tout en créant un nouveau levier d’interdépendance régionale.

La combinaison de ces éléments — port, corridors de transport et interconnexions énergétiques — forme un réseau multimodal (maritime, terrestre et électrique) plaçant le Pakistan au carrefour des flux logistiques et énergétiques eurasiatiques.

Quel potentiel commercial? : objectifs de croissance et impact régional

Pour atteindre l’objectif de 100 millions de dollars, il serait nécessaire de multiplier par près de vingt le niveau actuel des échanges, ce qui explique l’urgence d’ouvrir de nouvelles routes, de rationaliser les procédures de transit et d’associer pleinement le monde des affaires. L’accord de transit proposé, combiné à une meilleure connectivité via Gwadar et aux projets de liaisons énergétiques, offre un cadre structurel susceptible de rendre cette croissance possible.

Les effets d’entraînement pourraient être plus larges encore. Pour les États d’Asie centrale enclavés — riches en ressources mais pauvres en infrastructures — Gwadar et les corridors terrestres traversant le Pakistan pourraient transformer en profondeur leurs itinéraires d’exportation, leurs coûts logistiques et leurs temps de transport aérien, en les intégrant davantage aux chaînes d’approvisionnement mondiales. Pour la plupart de ces économies, Gwadar représente, selon le Pakistan, l’accès à la mer le plus proche, le plus rapide et le plus économique.

Les stratégies régionales et multilatérales : OCS, ECO, BRI

L’effort de connectivité du Pakistan ne s’inscrit pas dans un vide stratégique. Le pays entend mobiliser plusieurs cadres régionaux et multilatéraux — tels que l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), l’Organisation de Coopération Economique (ECO) et l’Initiative « Belt and Road » (BRI) — afin d’intégrer ses corridors dans un réseau eurasiatique élargi.

Selon la vision pakistanaise, le CPEC, le CAREC (Central Asia Regional Economic Cooperation) et la BRI constituent des axes d’opportunités complémentaires, formant une ceinture économique pan-eurasiatique reliant la mer d’Arabie à la Chine occidentale et à l’Asie centrale.

Echanges de personnes et secteur privé : éducation et mobilité

Au-delà des infrastructures et de la diplomatie, le Pakistan reconnaît que l’intégration régionale durable doit inclure les populations et l’initiative privée. Les responsables pakistanais et kirghiz ont souligné, lors de la visite kirghize, la nécessité de renforcer la coopération dans les domaines de l’éducation, de la mobilité de la main-d’œuvre et des relations d’affaires, notamment en facilitant la mobilité des étudiants et des travailleurs entre les deux pays.

Le forum d’affaires organisé dans le cadre de la visite réunira des entreprises des secteurs privés pakistanais et kirghiz afin d’engager des discussions sur le commerce, le transport et l’investissement, contribuant à déplacer le débat du seul développement infrastructurel piloté par les États vers des échanges économiques fondés sur les mécanismes du marché.

Conclusion

La convergence entre diplomatie proactive (notamment avec la République kirghize), vision politique ambitieuse (à travers le Forum de Tianshan) et investissements infrastructurels majeurs (Gwadar, CPEC, corridors énergétiques) prépare l’émergence d’un nouveau rôle géo-économique : celui d’un Pakistan non plus spectateur périphérique, mais nœud central reliant l’Asie centrale, la Chine, l’Asie du Sud, le Moyen-Orient et l’économie mondiale.

Le succès n’est toutefois pas garanti. Pour combler l’écart entre les volumes actuels des échanges bilatéraux et les objectifs fixés — notamment la cible de 100 millions de dollars avec le Kirghizstan — il sera indispensable de résoudre les obstacles logistiques, réglementaires et institutionnels. Néanmoins, si les différentes composantes — maritime, ferroviaire et routière, énergétique, diplomatique et participation du secteur privé — parviennent à s’articuler efficacement, la géographie du Pakistan pourrait aisément se transformer en un atout stratégique majeur.

Dans un monde marqué par la montée de la connectivité régionale et de l’intégration économique eurasiatique, le Pakistan est en mesure de devenir l’ancrage stratégique méridional d’une nouvelle ceinture économique eurasiatique, où navires, électricité, marchandises et personnes traversent les continents, reliés par l’acier, l’énergie et les corridors commerciaux.

Farwa Imtiaz

Farwa Imtiaz est chercheuse indépendante, titulaire d’un master en Peace and Conflict Studies (études sur la paix et les conflits) de l’Université de Peshawar, au Pakistan.

Ses domaines d’intérêt portent sur l’analyse des conflits, les réalités géopolitiques, le changement climatique et les affaires internationales.

Ses travaux ont été publiés dans Policy Wire, South Asia Times et Voice of Germany.

Cet article reflète les opinions personnelles de l’auteur et non nécessairement celles de Global Connectivities.

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