par Sara NAZIR
Lorsque récemment une délégation énergétique turque de haut niveau est arrivée à Islamabad, composée de la direction supérieure de la Turkish Petroleum Corporation (TPAO) et d’acteurs majeurs du secteur minier turc, la visite a, au premier regard, semblé n’être qu’un échange diplomatique de routine entre deux partenaires de longue date. En réalité, elle a marqué le début formel d’une reconfiguration économique et stratégique qui positionne le Pakistan non plus comme un acteur passif de l’ordre énergétique mondial, mais comme un maillon émergent d’un nouveau réseau de puissances moyennes fondé sur la coopération plutôt que sur la dépendance.
Au cœur des discussions se trouve la première initiative sérieuse du Pakistan en matière d’exploration en eaux profondes, menée en partenariat avec la Turquie. Si les dimensions techniques et commerciales du forage offshore sont en elles-mêmes significatives, leurs implications géopolitiques sont bien plus profondes. Cette initiative place, pour la première fois, le Pakistan sur la voie d’un développement systématique du potentiel extraordinaire de son domaine maritime, une zone longtemps sous-exploitée non en raison d’un manque de ressources, mais faute de partenaires adaptés et alignés sur sa souveraineté, prêts à investir dans son avenir.
Le littoral pakistanais s’étend sur plus de 1 050 kilomètres le long de la mer d’Arabie. En vertu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, le pays contrôle une zone économique exclusive d’environ 240 000 kilomètres carrés. En 2015, la reconnaissance de la revendication pakistanaise concernant une extension de son plateau continental a ajouté approximativement 50 000 kilomètres carrés supplémentaires à sa juridiction maritime, portant son espace marin total à près de 290 000 kilomètres carrés. Cet immense espace maritime, souvent qualifié de « cinquième province » du Pakistan, renferme des réserves inexploitées d’hydrocarbures, de ressources marines et de minéraux stratégiques. Jusqu’à présent toutefois, ce potentiel considérable est demeuré en grande partie dormant.
La décision de l’explorer conjointement avec la Turquie introduit une nouvelle dimension majeure. Elle reflète ce que les spécialistes des relations internationales décrivent comme « l’interdépendance complexe », un système dans lequel les États ne sont plus liés uniquement par des alliances de défense, mais par des intérêts économiques, industriels, technologiques et environnementaux imbriqués. Dans ce cadre, l’énergie n’est pas isolée du commerce, de la production ou de la diplomatie : elle devient l’ancrage d’un réseau dense de coopération qui stabilise et renforce les relations dans de multiples secteurs.
Une coopération multisectorielle au-delà de l’énergie
- Hydrocarbures offshore et développement maritime
La collaboration à venir dans l’exploration offshore devrait renforcer la sécurité énergétique du Pakistan en réduisant sa dépendance à long terme à l’égard de marchés internationaux volatils. Une production énergétique domestique plus solide apporterait une stabilité accrue au secteur électrique pakistanais, réduirait la facture des importations et renforcerait l’autonomie stratégique du pays. L’expérience opérationnelle de la Turquie dans les environnements offshore, de la mer Noire à d’autres zones émergentes, en fait un partenaire naturel et fiable pour ce projet.
- Minéraux stratégiques et technologies d’avenir
Parallèlement au forage en eaux profondes, les deux pays envisagent une coopération dans le secteur minier pakistanais, notamment dans les régions riches en cuivre, en or et en terres rares. Ces matériaux ne sont pas seulement précieux pour les industries traditionnelles : ils sont essentiels aux technologies du XXIᵉ siècle, notamment les batteries, les véhicules électriques, les systèmes d’énergie renouvelable et l’électronique avancée. Grâce à la collaboration avec la Turquie, le Pakistan a l’opportunité d’accéder à des segments de valeur plus élevés, en passant de l’exportation brute à la transformation, l’affinage et l’application industrielle.
- Production manufacturière et montée en gamme
Un accès fiable à l’énergie et aux matières premières accroît directement la production industrielle du Pakistan. Ces fondations en place, les industries pakistanaises – des textiles et de la sidérurgie à l’ingénierie et à la chimie – peuvent réduire leurs coûts et améliorer leur compétitivité internationale. La solide base manufacturière de la Turquie et son accès aux chaînes d’approvisionnement européennes offrent au Pakistan un pont naturel vers des marchés à plus forte valeur ajoutée.
- Corridors de transit et connectivité commerciale
Géographiquement, le Pakistan se situe au carrefour de l’Asie du Sud, de l’Asie centrale et du Moyen-Orient, tandis que la Turquie est positionnée aux portes de l’Europe. L’intégration des initiatives d’infrastructures pakistanaises avec la vision turque du « Corridor médian » constitue une occasion unique de bâtir un nouvel axe commercial reliant l’océan Indien à la région caspienne et au-delà. En ce sens, le partenariat concerne autant les routes, ports et corridors que les ressources.
Cette interdépendance économique croissante apparaît déjà dans les données commerciales. En 2024, les échanges bilatéraux entre le Pakistan et la Turquie ont atteint environ 1,4 milliard de dollars, marquant une progression notable et indiquant une dynamique forte. Les deux gouvernements ont publiquement exprimé leur ambition de porter ce volume à 5 milliards de dollars dans un avenir proche, un objectif de plus en plus réaliste à mesure que la coopération s’étend à l’énergie, aux mines, à la production de défense et à la manufacture industrielle.
L’autonomie stratégique par la coopération
Selon la théorie des « puissances moyennes néo-modernes » (Neo-Middle Power Theory), l’engagement du Pakistan auprès de la Turquie signale également un changement important dans son comportement diplomatique. Plutôt que de s’aligner exclusivement sur un bloc global, le Pakistan exerce une flexibilité stratégique, diversifiant ses partenariats économiques et réduisant ses vulnérabilités. L’évolution propre à la politique étrangère turque, plus indépendante et multidirectionnelle, complète cette approche.
Ce partenariat n’est donc pas de nature transactionnelle. Il s’enracine dans une familiarité historique, une affinité culturelle et un soutien diplomatique de longue date, mais il se traduit désormais par des infrastructures tangibles, une planification économique concrète et des transferts technologiques. Là où les périodes précédentes étaient marquées par des expressions symboliques de « fraternité », la phase actuelle se distingue par une coopération institutionnalisée et des investissements réciproques dans l’avenir.
La portée profonde de cette coopération réside aussi dans le message qu’elle adresse à la communauté internationale. À une époque où de nombreux pays en développement ou à revenu intermédiaire restent piégés dans des cycles de dépendance ou de pressions d’alignement, le Pakistan et la Turquie proposent un modèle différent : un modèle fondé sur le respect de la souveraineté, la planification du développement à long terme et une croissance partagée. Il ne s’agit ni d’un projet anti-mondialiste ni d’une posture isolationniste ; c’est une réintégration sereine et affirmée dans le système international, selon des termes choisis par les pays eux-mêmes.
Une opportunité stratégique pour le Pakistan
Si elle est menée à bien, cette coopération pourrait transformer profondément le Pakistan. Une énergie plus fiable renforcera la planification économique. De nouveaux flux miniers amélioreront le potentiel d’exportation. Une intégration commerciale accrue stimulera les industries et l’emploi. Et surtout, la pertinence stratégique du Pakistan dans un monde multipolaire s’affirmera davantage – non par la confrontation, mais par la construction et la coopération.
Bien après la disparition des gros titres, l’impact réel de ce partenariat se manifestera dans le fonctionnement silencieux des plateformes offshore, dans l’extension des ports, dans les usines en activité, dans les routes commerciales animées et dans la progression constante des indicateurs économiques. C’est ainsi que se construit la puissance authentique : patiemment, stratégiquement, résolument. Dans le mouvement des vagues au large des côtes pakistanaises et dans les ponts qui se forment entre Ankara et Islamabad, on distingue non l’écho d’alliances passées, mais la stratégie d’un avenir moderne. Un avenir où le Pakistan ne se contente plus de répondre à l’Histoire, mais contribue activement à la façonner.











