par Farwa Imtiaz
Le peuple de Gaza a accueilli avec joie l’annonce du président américain Donald Trump, le 29 septembre 2025, d’un plan en 20 points entre Israël et le Hamas, après deux années d’hostilités actives. Ce plan, également connu sous le nom de « Plan de paix de Gaza », prévoit un cessez-le-feu immédiat, le retour des otages, l’acheminement de l’aide et la réhabilitation de la région, ainsi que le déploiement d’une Force internationale de stabilisation (ISF) pour le maintien de la paix.
La création d’une force temporaire de maintien de la paix s’inscrit dans ce plan afin de former et de soutenir les forces de police palestiniennes à Gaza, tout en sécurisant les frontières, en assurant un processus fluide d’acheminement de l’aide et en maintenant la paix dans la région. Les développements récents indiquent qu’aux côtés d’autres pays du Moyen-Orient, le Pakistan s’apprête également à envoyer des soldats pour rejoindre l’ISF. Cette décision de participer à une force multinationale de stabilisation marque un tournant pour le Pakistan : il passe d’une logique de confinement et de dissuasion régionale en Asie méridionale à une diplomatie mondiale du maintien de la paix. Gaza devient ainsi un « test » pour déterminer si le Pakistan peut agir comme une puissance moyenne crédible sur le plan diplomatique dans un ordre mondial multipolaire et polarisé.
De la realpolitik régionale au maintien de la paix mondial
Depuis son indépendance en 1947, les relations extérieures du Pakistan ont été contraintes. À l’est, sa rivalité avec l’Inde s’est traduite concrètement par des guerres (1948, 1965, 1971, 1999), tandis qu’à l’ouest, après l’invasion soviétique de l’Afghanistan, le Pakistan est devenu un État de première ligne durant la guerre froide. Sa politique étrangère s’est donc profondément ancrée dans une logique de survie et de dissuasion dans un climat de rivalités entre grandes puissances.
Dans ce contexte sécuritaire multidimensionnel, le Pakistan a forgé une contre-identité : celle d’un acteur fiable du maintien de la paix onusien. Il a joué un rôle de tout premier plan dans les opérations de maintien de la paix des Nations unies, du Congo (années 1960) à la Somalie (années 1990), en passant par la Bosnie, la Sierra Leone, le Darfour et bien d’autres. Le Pakistan a déployé 235 000 soldats dans 48 missions réparties sur 29 pays et presque tous les continents. Plus de 181 Casques bleus pakistanais ont perdu la vie dans l’exercice de leurs fonctions, représentant environ 10 % des pertes totales enregistrées par les opérations de maintien de la paix de l’ONU depuis leur création. 97 d’entre eux ont reçu la médaille Dag Hammarskjöld, la plus haute distinction des Nations unies, en reconnaissance de leur courage.
Ces missions ont contribué à forger l’image du Pakistan comme un artisan de paix sur la scène mondiale, même lorsqu’il était confronté à des défis régionaux. La participation à l’ISF permettrait de renforcer cet héritage et de s’engager dans une zone particulièrement périlleuse, le Moyen-Orient, où s’illustrent les tensions mondiales.
Gaza comme cas d’épreuve stratégique
Les tensions indo-pakistanaises en mai 2025, la signature de l’Accord de défense mutuelle stratégique (SMDA) avec l’Arabie saoudite, les relations stratégiques avec l’Iran et la Turquie, la promotion du plan de paix de Trump et les négociations avec les talibans en octobre 2025 illustrent la mutation de la politique étrangère du Pakistan. Ce dernier ne se limite plus à une politique de survie et de dissuasion, mais s’engage désormais dans une diplomatie active. Par ailleurs, son expérience antérieure du maintien de la paix — au Liban (FINUL), au Cachemire (Groupe d’observateurs militaires de l’ONU en Inde et au Pakistan, UNMOGIP) et en Bosnie (1994-1996) — démontre que le Pakistan a déjà opéré dans des zones majoritairement musulmanes, ce qui lui confère une expertise applicable aux complexités de la situation post-conflit à Gaza.
Dans ce contexte, Gaza devient le terrain d’essai du nouveau statut du Pakistan, confronté à trois défis stratégiques majeurs. Premièrement, il lui faudra éviter tout alignement sur un bloc et maintenir sa neutralité, comme il l’avait fait au Cambodge (1992) malgré ses liens avec la Chine. Deuxièmement, le Pakistan devra prouver sa capacité à stabiliser diplomatiquement la région, au-delà d’une simple présence sécuritaire. Enfin, une implication durable, semblable à celle menée dans la mission MONUSCO (Congo) depuis près de deux décennies, sera nécessaire. Gaza mettra à l’épreuve la capacité du Pakistan à rester fidèle à son identité de force de maintien de la paix et à sa politique étrangère renouvelée.
Équilibrer les grandes puissances mondiales
La situation à Gaza offre également au Pakistan l’occasion de s’imposer comme un « État-pont » et une « puissance moyenne », capable de relier les pays occidentaux, asiatiques et islamiques sans être absorbé par aucun d’entre eux. Le Pakistan a déjà démontré sa capacité à naviguer entre les puissances : durant la guerre froide, il était allié des États-Unis au sein du SEATO et du CENTO, tout en maintenant des relations diplomatiques avec la Chine. Après le 11 septembre, il a coopéré avec Washington dans la « guerre contre le terrorisme » tout en participant aux initiatives de développement et de connectivité chinoises dans le cadre du Corridor économique Chine-Pakistan (CPEC). Dans le cas de Gaza, le soutien du Pakistan au plan de paix de Trump et sa participation à la mission de maintien de la paix pourraient rassurer les décideurs occidentaux. Parallèlement, ses initiatives diplomatiques à Gaza s’alignent sur la « Global Security Initiative » chinoise. Les capitales du Golfe, historiquement tournées vers le Pakistan pour leur coopération sécuritaire, verraient également d’un bon œil sa présence au sein de l’ISF.
La doctrine de la paix vérifiable
L’évolution de la doctrine de politique étrangère du Pakistan peut être comprise à travers le concept de « paix vérifiable », qui vise à combiner diplomatie de maintien de la paix et mécanismes fondés sur des preuves. Cette approche s’inspire de la guerre froide, lorsque la vérification était essentielle pour préserver la sécurité mondiale. Les cadres des négociations SALT et du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (INF) ont démontré que la paix durable devait être quantifiable et correctement contrôlée. Le Pakistan a d’ailleurs soutenu par le passé la vérification et la négociation par des tiers comme moyen de gestion des conflits, notamment à travers l’UNMOGIP au Cachemire. Le même principe est aujourd’hui perceptible dans les négociations de Doha et d’Istanbul de 2025 avec les talibans. Appliqué à Gaza, il permettrait au Pakistan de mettre en œuvre cette philosophie sur la scène internationale afin de garantir les conditions du cessez-le-feu, de l’aide humanitaire et de la protection des civils.
Gaza offre donc au Pakistan l’opportunité d’orienter sa politique étrangère vers une approche fondée sur la responsabilité et la vérification, plutôt que sur la seule logique sécuritaire. Ce n’est pas une épreuve d’alignement, mais une occasion d’apporter la paix dans une région ravagée par une violence directe et persistante. Il reste à voir dans quelle mesure le Pakistan saura relever ce défi.











