Un précédent redoutable: comment la suspension du Traité des eaux de l’Indus par l’Inde menace la paix régionale et le droit international.

La suspension unilatérale par l’Inde du traité des eaux de l’Indus marque un précédent dangereux en droit international.

par Abdul Haq

Après des décennies de diplomatie réussie en matière de partage des ressources hydriques, la suspension unilatérale par l’Inde du traité des eaux de l’Indus à la suite de l’attaque terroriste tragique de Pahalgam constitue une escalade dangereuse, établissant un précédent inquiétant pour le droit international. L’affrontement militaire de quatre jours qui s’en est suivi entre ces deux voisins immédiats, tous deux puissances nucléaires, montre à quel point les différends liés à l’eau peuvent rapidement devenir une menace existentielle pour la paix et la stabilité régionales.

L’effondrement d’un succès diplomatique

Le traité des eaux de l’Indus, signé le 19 septembre 1960 par le président pakistanais Ayub Khan et le Premier ministre indien Jawaharlal Nehru, est longtemps resté l’un des accords de partage de l’eau les plus efficaces de l’histoire. Ce traité, négocié sous l’égide de la Banque mondiale, a survécu plus de 60 ans malgré plusieurs guerres, attentats terroristes et crises politiques entre l’Inde et le Pakistan. L’accord octroyait à l’Inde la souveraineté sur trois rivières de l’Est (Beas, Ravi et Sutlej), tandis que le Pakistan obtenait des droits sur les trois rivières de l’ouest (Indus, Chenab et Jhelum). L’Inde recevait ainsi 30 % du débit total des eaux, contre 70 % pour le Pakistan.

Cependant, l’Inde a pris la décision historique de suspendre le traité le 23 avril 2025, soit un jour après l’attentat terroriste de Pahalgam qui a coûté la vie à 26 civils innocents. New Delhi a justifié cette mesure par des « préoccupations de sécurité nationale » et a accusé le Pakistan de soutenir le terrorisme d’État. Ce geste unilatéral a mis à mal ce que beaucoup considéraient comme un acquis diplomatique inébranlable : c’est en effet la première fois depuis la création du traité qu’un des deux pays le suspend entièrement.

La temporalité et la nature de cette décision soulèvent de vives inquiétudes quant à l’instrumentalisation de l’eau à des fins politiques. Associer cette tragédie au partage des ressources hydriques constitue une dangereuse confusion entre guerre environnementale et lutte contre le terrorisme — bien que l’attaque de Pahalgam ait été un acte de terreur ignoble ciblant des touristes hindous en raison de leur identité religieuse. La communauté internationale a justement condamné cette attaque perpétrée par cinq militants armés qui ont assassiné méthodiquement des hommes hindous et contraint d’autres victimes à réciter des versets coraniques – un acte qui contredit profondément les principes de l’islam véritable. Cela étant dit, aucun pays dépendant d’accords hydriques transfrontaliers ne devrait utiliser un tel événement comme prétexte pour suspendre un traité dont dépendent les moyens de subsistance de millions de personnes de part et d’autre de la frontière.

Des différends hydriques au conflit militaire

La montée des tensions diplomatiques a conduit à un affrontement militaire de quatre jours, du 7 au 10 mai 2025, illustrant les conséquences dévastatrices de la suspension unilatérale du traité. Ce fut la première fois dans l’histoire militaire indo-pakistanaise que l’Inde a utilisé des missiles de croisière — notamment le BrahMos et le SCALP-EG européen — contre le Pakistan, tandis que celui-ci a riposté à l’aide de missiles balistiques à courte portée, tels que le Fatah-I et le Fatah-II. Les deux pays ont également eu recours à des drones dans une logique de destruction ciblée.

Ce conflit a mis en lumière la vulnérabilité du Pakistan face à la puissance aérienne indienne, malgré quelques interceptions réussies, et a démontré la capacité de l’Inde à mener des frappes de précision à longue distance sur de vastes zones pakistanaises. Plus préoccupant encore : bien que ces puissances nucléaires aient été impliquées dans le conflit militaire le plus grave depuis des décennies, aucune des deux n’a franchi les frontières internationales avec des avions pilotés, ce qui démontre la conscience aiguë du risque d’escalade chez les deux parties.

Cette évolution – de la suspension du traité à l’affrontement militaire – illustre clairement pourquoi les accords internationaux sur les eaux transfrontalières doivent comporter des mécanismes robustes de résolution des différends. Le traité des eaux de l’Indus prévoyait justement une Commission permanente de l’Indus et des procédures d’arbitrage sous l’égide de la Banque mondiale pour désamorcer les tensions. En court-circuitant ces canaux diplomatiques, l’Inde a non seulement violé ses obligations conventionnelles, mais a aussi supprimé les garde-fous prévus pour éviter ce genre d’escalade.

Des précédents dangereux et des violations du droit international

La suspension unilatérale du traité des eaux de l’Indus constitue, à plusieurs égards, une grave entorse au droit international. D’abord, elle contrevient au principe fondamental du droit des traités, pacta sunt servanda, qui impose le respect des engagements contractés. La Convention de Vienne sur le droit des traités ne permet la suspension qu’en cas de circonstances exceptionnelles, et prévoit des procédures de notification et de consultation, qui n’ont pas été respectées ici. D’autre part, l’action indienne viole le droit coutumier international en matière d’eaux partagées, notamment le principe d’utilisation raisonnable et équitable des ressources hydriques. La Cour internationale de Justice considère systématiquement comme violations les actions unilatérales affectant des eaux transfrontalières sans consultation. La suspension du traité pourrait porter atteinte à l’accès à l’eau de plus de 200 millions de Pakistanais, soulevant ainsi de graves inquiétudes humanitaires.

En liant le terrorisme aux droits d’usage de l’eau, l’Inde ouvre la voie à un précédent dangereux que d’autres États confrontés à des enjeux sécuritaires pourraient exploiter. La coopération internationale en matière d’eau devient profondément instable si chaque pays peut, au nom de la sécurité nationale, suspendre un traité à sa guise. Si les États en amont emboîtent le pas à l’Inde, ce sont des milliards de personnes dépendantes des cours d’eau transfrontaliers qui risquent d’en pâtir.

Peut-être en raison de la sympathie suscitée par l’attentat, la réaction de la communauté internationale est demeurée étonnamment discrète. Mais au-delà des relations bilatérales avec l’Inde ou le Pakistan, tous les pays devraient s’inquiéter de la banalisation de l’arme hydrique, à laquelle ce silence contribue. Alors que la sécurité hydrique est de plus en plus reconnue comme un droit humain fondamental, sa politisation menace gravement la gouvernance mondiale de l’eau.

La voie à suivre : choisir la diplomatie plutôt que la division

Les mesures de représailles du Pakistan – restrictions commerciales, fermeture de l’espace aérien – sont prévisibles. Mais avant que la situation ne dégénère davantage, l’attention doit se porter sur une solution diplomatique à cette crise en cours. La communauté internationale – et plus particulièrement la Banque mondiale, médiatrice originelle du traité – doit jouer un rôle moteur pour rétablir le dialogue entre les deux pays.

Plusieurs actions urgentes s’imposent :
Premièrement, l’Inde doit reconsidérer sa décision et revenir au cadre du traité, en utilisant les mécanismes de règlement des différends qu’il prévoit.
Deuxièmement, les deux pays doivent admettre que la gestion de l’eau et la lutte contre le terrorisme relèvent de domaines diplomatiques distincts, bien que cruciaux.
Troisièmement, tout en tenant compte des préoccupations sécuritaires légitimes, les médiateurs internationaux doivent faciliter des pourparlers d’urgence afin d’éviter une escalade militaire supplémentaire.

Si le traité de l’Indus a résisté à la guerre de Kargil, aux conflits de 1965 et 1971 et à plusieurs actes terroristes, c’est parce que les deux pays savaient que la coopération autour de l’eau était trop vitale pour être sacrifiée sur l’autel des intérêts politiques. En pleine guerre de 1965, l’Inde a d’ailleurs continué à honorer les dispositions du traité en fournissant de l’eau et en effectuant les paiements annuels convenus, prouvant que certaines préoccupations humanitaires doivent rester hors du champ du conflit.

Conclusion : garantir l’avenir de la diplomatie hydrique

Au-delà d’un simple différend bilatéral, la suspension du traité des eaux de l’Indus représente une menace existentielle pour les fondements de la coopération mondiale en matière d’eau. À mesure que le changement climatique aggrave la rareté de cette ressource vitale, des accords solides et juridiquement contraignants sur les eaux transfrontalières deviennent plus que jamais nécessaires.

Aussi compréhensible que puisse paraître la décision de l’Inde dans l’émotion post-attentat, elle crée un précédent susceptible de remettre en cause des décennies de progrès en droit international de l’eau. Le conflit militaire qui s’ensuit rappelle avec force les conséquences désastreuses d’une confusion entre enjeux sécuritaires et ressources hydriques. Les deux pays doivent reconnaître que leurs rivières communes ne sont pas de simples objets de négociation politique, mais les artères vitales de leurs populations respectives.

La communauté internationale ne peut tolérer l’effondrement de l’un des traités hydriques les plus efficaces au monde. Ce qui se joue aujourd’hui en Asie du Sud pourrait demain affecter les bassins fluviaux d’Afrique, d’Asie du Sud-Est ou d’Amérique latine. Il est impératif de restaurer le Traité des Eaux de l’Indus et de rejeter fermement la dangereuse tendance à instrumentaliser l’eau comme une arme.

L’Inde et le Pakistan n’ont qu’un choix fondamental : retourner à la table des négociations et respecter leurs obligations conventionnelles, ou risquer de transformer les rivières d’Asie du Sud en armes de guerre. L’avenir de la diplomatie hydrique est en jeu — et le monde entier les observe.

Auteur: Abdul Haq est titulaire d’un master en relations internationales de la School of International and Public Affairs (SIPA), Université de Jilin (République populaire de Chine), ainsi que d’un master en sciences politiques de l’Université de Peshawar (Pakistan). Il écrit sur les questions mondiales, la politique internationale, le droit international, la paix, les conflits et les études en matière de sécurité. Il contribue notamment à Modern Diplomacy et The Diplomatic Insight. Contact : ahsafi.edu@gmail.com.

Cet article reflète les opinions personnelles de l’auteur et non nécessairement celles de Global Connectivities.

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