par Abdul Haq
Souvent qualifiée d’« amitié à toute épreuve », la relation entre la Chine et le Pakistan s’est progressivement transformée en une véritable « fraternité de fer », selon les termes employés par les deux parties. Si leurs liens économiques — notamment dans le cadre de l’Initiative « Belt and Road » (BRI) et de son projet phare, le Corridor économique Chine-Pakistan (CECP) — ont fait l’objet de nombreuses analyses, leur coopération dans le domaine de la défense constitue depuis longtemps un pilier de leur collaboration stratégique. Le renforcement de la coopération militaire et sécuritaire entre Beijing et Islamabad reflète non seulement une convergence d’intérêts, mais également une vision commune de la stabilité régionale, de la souveraineté et du respect mutuel, dans une région marquée par l’instabilité, les alliances changeantes et les rivalités persistantes.
Cet article examine la trajectoire, les impératifs stratégiques et les perspectives de la coopération de défense entre la Chine et le Pakistan. Il soutient que ce partenariat se distingue par un alignement stratégique, une coopération technologique et un engagement partagé en faveur de l’équilibre régional, bien au-delà des simples transferts d’armes ou des exercices symboliques.
La coopération en matière de défense sino-pakistanaise remonte au début des années 1960. À la suite de la guerre sino-indienne de 1962 et de leurs propres conflits avec l’Inde, les deux pays ont trouvé un terrain d’entente dans leur opposition à l’hégémonie régionale indienne. Le soutien apporté par la Chine au Pakistan durant les guerres indo-pakistanaises de 1965 et 1971, ainsi que son rôle ultérieur de fournisseur fiable d’équipements de défense, ont jeté les bases de relations militaires durables.
Contrairement au caractère transactionnel de nombreuses relations internationales en matière d’armement, l’engagement chinois auprès du Pakistan a rapidement revêtu un caractère stratégique. À des périodes où l’aide occidentale était limitée en raison de sanctions ou de changements géopolitiques, la Chine a comblé des lacunes critiques dans les capacités de défense pakistanaises. Après une phase marquée par des projets de coproduction et des dialogues stratégiques dans les années 1990 et 2000, le partenariat est aujourd’hui entré dans une nouvelle ère de coopération sécuritaire multiforme.
La production conjointe d’équipements militaires est l’un des éléments les plus marquants de ce partenariat. L’exemple emblématique en est le chasseur JF-17 Thunder, développé conjointement par la Chengdu Aircraft Corporation chinoise et le Pakistan Aeronautical Complex. Cet appareil, désormais exporté vers des pays tiers, illustre le degré de confiance stratégique et la sophistication des liens en matière de défense.
La coopération navale s’est également intensifiée, le Pakistan ayant acquis des frégates chinoises de pointe (Type 054A/P), des sous-marins (classe Hangor) et des plateformes de patrouille maritime. Ces acquisitions renforcent non seulement la marine pakistanaise, mais soutiennent également l’objectif chinois de sécurisation des lignes de communication maritimes (SLOC), cruciales pour les importations énergétiques chinoises qui transitent par l’océan Indien.
La Chine contribue aussi à l’amélioration des capacités de dissuasion du Pakistan grâce à la fourniture de systèmes de défense aérienne, de batteries de missiles et de technologies de surveillance. La coopération dans le domaine nucléaire civil renforce la sécurité énergétique du Pakistan tout en développant son expertise technologique dans le secteur de la défense. Les exercices conjoints, les consultations stratégiques et la communication militaire viennent consolider cette relation.
Les exercices conjoints réguliers, comme la série « Shaheen » pour les forces aériennes, « Sea Guardians » pour les marines, ou encore « Warrior » pour les forces spéciales terrestres, améliorent l’interopérabilité, favorisent la confiance et la synergie opérationnelle. Face à l’évolution des menaces, ces manœuvres incluent de plus en plus de scénarios complexes : guerre électronique, combats en milieu urbain ou encore lutte antiterroriste.
Au sein de forums régionaux comme l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), où les deux pays défendent le multilatéralisme, la non-ingérence et la stabilité régionale, leur alignement est encore plus manifeste. Ensemble, ils rejettent la politique des blocs et les alliances militaires, consolidant ainsi leur vision stratégique commune.
Avec le lancement du CECP en 2015, la Chine est passée du statut de partenaire externe à celui d’acteur impliqué dans la stabilité interne du Pakistan. La présence croissante d’ingénieurs, de citoyens et d’investissements chinois à travers le Pakistan, de Gilgit-Baltistan à Gwadar, a donné une nouvelle dimension à la coopération sécuritaire.
En réponse, le Pakistan a mis en place des unités spéciales de protection, telles que les unités du Frontier Corps et la Division spéciale de sécurité (SSD), chargées de protéger les infrastructures et le personnel chinois. La Chine a soutenu ces efforts via un appui en matière de renseignement, de formation et d’équipement. Ce dispositif a fait de la Chine un acteur de facto de la matrice de sécurité interne pakistanaise.
Cette évolution a également des implications sensibles : la Chine s’inquiète de plus en plus des menaces posées par le Tehrik-i-Taliban Pakistan (TTP), les insurgés baloutches, ou encore les répercussions du conflit afghan. Pékin, désormais partie prenante de la stabilité à long terme, a commencé à jouer un rôle plus actif dans la promotion du développement politique et de la réconciliation dans les régions occidentales du Pakistan.
La coopération de défense sino-pakistanaise est un élément clé de la dissuasion régionale, en particulier face à l’Inde. Après l’attaque de Pulwama en 2019, la Chine a intensifié son soutien en renforçant les capacités militaires pakistanaises via des armements avancés et des programmes d’entraînement conjoints, contribuant à prévenir une escalade militaire.
L’alliance militaire a été mise à l’épreuve lors de la crise de mai 2025, consécutive à une attaque menée par des militants à Pahalgam, au Cachemire. En réponse, l’Inde a lancé l’« Opération Sindoor », consistant en des frappes aériennes de précision contre des infrastructures terroristes présumées au Pakistan. Ce dernier a riposté par l’« Opération Bunyan al-Marsus », utilisant des équipements militaires avancés fournis par la Chine. Cet épisode a mis en évidence le rôle central de la Chine en tant que partenaire sécuritaire et son intérêt pour l’évaluation de l’efficacité de ses exportations d’armement. Le renforcement des liens sécuritaires de l’Inde avec les puissances occidentales laisse présager une consolidation accrue de l’axe sino-pakistanais.
L’un des freins aux actions unilatérales en Asie du Sud réside dans la menace implicite d’un réapprovisionnement chinois ou de pressions diplomatiques sur le flanc oriental de l’Inde. Ce partenariat confère au Pakistan une profondeur stratégique, tandis que la Chine continue de voir en lui un allié de confiance face au rapprochement croissant de l’Inde avec les puissances occidentales, notamment dans l’Indo-Pacifique.
À l’avenir, la coopération de défense sino-pakistanaise devrait s’étendre à des domaines de sécurité non traditionnels, tels que l’intelligence artificielle, la cybersécurité, la sécurité spatiale et la sécurité sanitaire. Le Pakistan pourrait servir de terrain d’expérimentation clé pour les cadres de sécurité chinois à l’étranger, dans le cadre de l’Initiative pour la sécurité mondiale (GSI) lancée par Pékin.
Par ailleurs, dans le cadre de la BRI, de l’OCS ou du mécanisme C+C5, le potentiel de coopération multilatérale en matière de sécurité avec des tiers — comme la Turquie, les États du Golfe ou les républiques d’Asie centrale — est en pleine expansion. Cette coopération pourrait aussi s’élargir aux interventions humanitaires, aux missions de maintien de la paix et aux enjeux liés à l’interaction entre changement climatique et sécurité.
Les liens de défense entre la Chine et le Pakistan ont évolué vers un partenariat stratégique global fondé sur un engagement durable, une confiance mutuelle et des intérêts communs. Ce lien indéfectible contribue à la réalisation de l’objectif chinois d’un voisinage sûr et stable, tout en renforçant les capacités de défense du Pakistan et en prévenant les déséquilibres régionaux.
La coopération en matière de défense restera un élément central de la vision bilatérale élargie des deux pays, alors qu’ils naviguent dans un ordre international imprévisible marqué par des bouleversements technologiques, des rivalités géopolitiques et des menaces asymétriques. Si elle est menée avec précaution, transparence et sensibilité mutuelle, ce partenariat peut devenir un pilier de la paix régionale et un modèle de solidarité stratégique Sud-Sud.
Auteur: Abdul Haq a un master en relations internationales obtenu à l’Ecole des Relations Internationales et Affaires Publiques de l’Université de Jilin, Chine.
Cet article reflète les opinions personnelles de l’auteur et non nécessairement celles de Global Connectivities.