par Sébastien GOULARD
Fin décembre 2024, la Chine a approuvé la construction d’un mégabarrage dans la région autonome du Tibet (Xizang). Il s’agira du plus grand barrage hydraulique jamais construit. Si ce projet permettra de produire jusqu’à 300 milliards kw/h annuellement, et devrait assurer un nouveau développement du Tibet, le projet inquiète les voisins de la Chine que Beijing devra rassurer avec de nouvelles initiatives de coopération régionale.
Un barrage sans équivalent
Il s’agira du barrage le plus puissant au monde avec une capacité annuelle de 3 fois la production du barrage des Trois Gorges, dans le Hubei, qui est à ce jour, le plus important au monde. Ce projet de barrage a été présenté dès 2020 par Power Construction Corp of China.
Ce sera le projet de tous les records. Son budget est colossal et devrait atteindre près de 137 milliards de dollars. Ce sera aussi un défi technique puisque la rivière Yarlung Zangbo, sur laquelle le barrage sera construit, se situe à près de 4000 mètres d’altitude, et présente un dénivelé de 2000 mètres sur seulement 50 kilomètres. D’autre part, l’activité sismique dans la région n’est pas anodine, et cet ouvrage devra être capable, de résister. La construction de ce barrage sera aussi une formidable démonstration de l’expertise chinoise dans ce type de projet.
Le projet de barrage devrait être accompagné de nombreuses mesures visant au développement de cette région du Tibet. Tout d’abord, le patrimoine religieux et culturel de la région devrait être préservé, et des mesures de développement local pour les habitants devraient mises en place pour impulser une nouvelle dynamique économique au niveau local. Enfin, les aspects environnementaux devraient être pris en compte pour limiter les conséquences du barrage sur l’écosystème fragile de l’Himalaya.
Ce projet de barrage aura un impact très fort sur la production d’énergie de la Chine. Le pays cherche à accélérer sa transition énergétique pour atteindre la neutralité carbone en 2060. Nul doute que les projets de barrages hydroélectriques dans l’Himalaya devraient se multiplier dans les prochaines années, que ce soit en Chine, mais aussi en Inde.
La réaction de l’Inde et du Bangladesh
Selon Beijing, la construction de ce barrage ne devrait pas avoir de conséquences environnementales sur les pays voisins. Cependant, il existe en Inde et au Bangladesh des interrogations sur ce projet. Après le Tibet, la rivière Yarlung Zangbo, irrigue les Etats de l’Arunachal Pradesh et de l’Assam en Inde, sous le nom de Siang et forme avec d’autres rivière le Brahmapoutre au Bangladesh avant de se jeter dans le delta du Gange.
L’Inde a déjà officiellement indiqué ses inquiétudes concernant ce barrage par la voix de son ministre des Affaires étrangères.
En Inde, la question de la construction de ce barrage s’inscrit dans un contexte plus des relations entre Beijing et New Delhi. Si en octobre 2024, les deux pays se sont mis d’accord pour un désengagement de leur force militaire respective dans certaines zones frontalières disputées dans la région de l’Himalaya, des tensions persistent notamment après la création de nouveaux comtés de He’an et Hekang dans la région autonome du Xinjiang par le Conseil des affaires de l’État chinois, dans une zone revendiquée par l’Inde.
Le Bangladesh pourrait être l’Etat le plus affecté par ce nouveau barrage, ainsi que par les autres projets imaginés aussi par l’Inde, sur le Brahmapoutre et la rivière Teesta au Bangladesh occidental. Dhaka a notamment comme projet de restaurer la rivière Teesta dont le niveau baisse. Pour ce projet, le gouvernement de Dhaka cherche des financements, et à la fois l’Inde et la Chine proposent d’y contribuer afin de conserver de bonnes relations avec le Bangladesh. Ce pays et très dépendant de ses fleuves pour son agriculture et sera donc très attentif aux évolutions du Brahmapoutre dans les prochaines années.
Sans réelle coordination entre les trois voisins, ni partage de l’usage des eaux, il y a un risque de tensions élevé qui ne peut être négligé. D’autant plus, que les politiques de transition énergétique devraient pousser ces trois Etats à développer de nouveaux projets de barrages hydroélectriques. La Chine, l’Inde et le Bangladesh devront continuer à échanger et travailler ensemble pour une gestion coordonnée du fleuve Yarlung Zangbo-Brahmapoutre, en adoptant des mécanismes similaires à ceux de la sous-région du Grand Mékong.
Auteur: Sébastien Goulard est le fondateur et rédacteur de Global Connectivities.