par Sébastien GOULARD
Depuis plus de vingt ans, l’Union Européenne cherche à signer un accord de libre-échange avec les Etats de l’ANSEA, cependant, en raison de désaccords politiques (principalement concernant la situation au Myanmar) et la grande diversité économique de l’ANSEA, il n’a pas été possible de signer un accord entre les deux organisations régionales. Mais, plusieurs accords bilatéraux entre l’Union Européenne et des Etats d’Asie du Sud-Est ont été négociés. Ainsi, l’UE signait un accord de libre-échange avec Singapour en 2018, un an plus tard un accord similaire était signé avec le Vietnam. Des négociations sont encore en cours avec l’Indonésie, malgré la question épineuse de l’exploitation de l’huile de palme. On constate une accélération des partenariats entre les deux régions. En 2021, l’Union Européenne a inauguré sa stratégie pour l’Indo-Pacifique dans laquelle l‘Asie du Sud-Est joue un rôle particulièrement important. Si l’UE s’est recentrée sur son environnement immédiat en raison de la guerre en Ukraine, elle continue à vouloir créer de nouvelles coopérations avec l’ASEAN notamment pour développer de nouvelles chaînes d’approvisionnement et réussir son découplage de la Chine.
De la même manière, les Etats d’Asie du Sud-Est cherchent à réduire leur dépendance à la Chine et à rééquilibrer leurs relations avec les autres puissances, y compris l’Union Européenne.
C’est justement le durcissement des relations entre Manille et Beijing qui peut en partie expliquer la volonté des Philippines de lancer de nouvelles négociations avec l’Union Européenne.
Malgré l’entrée en vigueur de l’accord de partenariat et coopération entre l’UE et les Philippines en 2018, les relations entre les deux acteurs étaient relativement mauvaises sous le mandat de l’ancien Président Rodrigo Duterte (2016-2022), alors que Bruxelles s’inquiétait d’une possible détérioration des droits de l’Homme aux Philippines dans la guerre contre la drogue lancée par le Président Duterte. Depuis 2022 et l’élection du Président Ferdinand Marcos Jr., ces relations se sont améliorées.
Un accord de libre-échange pour 2027
L’objectif des deux parties est d’avancer rapidement pour que les négociations puissent se terminer pour 2027. Les premières négociations ont eu lieu en 2015 et un second cycle de négociation avait commencé en 2017, sans être reconduites.
Pour les Philippines, il est très important d’atteindre cet objectif afin que ses exportations ne soient pas soumises aux droits de douane européens. En effet, les Philippines bénéficient encore du système généralisé de préférences (SGP+), en tant qu’économie en développement, cela veut dire qu’une partie de ses produits ne sont pas taxés par l’Union Européenne à l’importation. Mais si les Philippines obtenaient le statut de pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, pendant plus de trois ans, (ce qui est très possible en raison du développement économique que connaît le pays), les Philippines perdraient l’accès au SGP+, et ses exportations vers l’UE seraient alors plus taxées.
Contrairement à l’Indonésie, les Philippines exportent peu de produits agricoles vers l’Union Européenne, et donc la question du développement durable et de la déforestation devrait être moins prégnante. D’autre part, les Philippines jouissent d’un régime démocratique, et donc il ne devrait pas avoir trop de questions sociétales qui viennent parasiter ces négociations commerciales. Mais du côté européen, les accords de libre-échange sont de plus en plus difficiles à négocier, obtenir un consensus entre les 27 Etats-membres prend du temps, comme le montre le cas de l’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur qui reste encore en suspens en 2024, bien que les parties aient obtenus un accord de principe en 2019.
Des échanges à renforcer
Ce nouvel accord pourrait booster les échanges entre l’Europe et les Philippines, ceux-ci sont aujourd’hui relativement limités, ainsi les échanges de marchandises représentaient 16 milliards d’euros en 2023. L’Union Européenne est le 4e partenaire commercial des Philippines derrière la Chine les Etats-Unis et le Japon. Au sein de l’UE, l’Allemagne reste le partenaire plus important. Les exportations vers l’UE sont constituées en grande partie de circuits intégrés et d’équipement électroniques, ce qui prouve que les Philippines deviennent de plus en plus présents dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. Du côté de l’agriculture, les Philippines pourraient aussi de devenir une source plus importante pour une huile de palme plus durable.
Selon le Département de du Commerce et de l’Industrie philippin, cet accord de libre-échange pourrait permettre d’augmenter ses exportations de 8,3 milliards de dollars. Cependant, cet accord en lui-même, bien que nécessaire, ne pourra causer durablement une augmentation des échanges entre l’’Union Européenne et les Philippines. Il faudra pour les deux parties multiplier les initiatives et les contacts afin que les entreprises des deux régions se connaissent mieux et apprennent les spécificités de chaque marché.
Pour que cet accord de libre-échange soit rapidement négocié, il est important aussi que nouvelles visites au niveau gouvernemental soit organisées, que de nouveaux accords non-commerciaux, de type culturel ou scientifique soient noués entre les Philippines et les pays européens.
Auteur: Sébastien Goulard est le fondateur et rédacteur de Global Connectivities.