par Sébastien GOULARD
A la mi-septembre, le ministre français des Affaires étrangères Stéphane Séjourné s’est rendu sur le site du réservoir de Vedi en Arménie, en compagnie de son homologue Ararat Mirzoyan.
Le réservoir de Vedi, à une cinquantaine de kilomètres d’Erevan, une fois achevé, deviendra le plus grand réservoir d’Arménie, d’une capacité de 29 millions de mètres-cubes. Il permettra d’irriguer 6000 hectares de terre dans la vallée d’Ararat. Grâce à lui, les agriculteurs de la région devraient aussi faire des économies d’énergie.
La construction du réservoir de Vedi est financée à 80% par l’Agence Française de Développement (AFD), grâce à un prêt de 75 millions d’euros remboursable sur vingt ans. Commencé en 2017, il devrait être terminé dans les prochains mois. Le projet a été développé par Artelia Eau & Environnement (France) et Sher Ingenieurs-Conseils (Belgique). Il est mis en œuvre par un consortium irano-arménien.
Il ‘agit d’un exemple de la coopération entre l’Arménie et la France. On assiste à un intérêt grandissant de la France et des autres Etats de l’Union européenne pour cette république du Caucase du Sud qui espère lier son destin à ses partenaires européens.
Un rapprochement vers l’Union Européenne
Au lendemain de la guerre du Haut-Karabagh en septembre 2023 qui a causé l’annexion de cette république arménienne non-reconnue par l’Azerbaïdjan, Erevan a répété son souhait de multiplier les relations avec l’Union Européenne.
Déçu par l’absence de soutien de la part de Moscou lors de ce conflit, en juin 2024, le Premier ministre Nikol Pashinyan a annoncé que l’Arménie quitterait prochainement l’Organisation de Traité de Sécurité Collective, une alliance menée par la Russie. Déjà en mars 2024, le ministre des Affaires étrangères arménien annonçait que son pays cherchait à intégrer, dans le futur, l’Union Européenne, et ainsi échapper à la menace azérie.
Dès les années 1990, l’Union Européenne a apporté son aide à l’ancienne république soviétique et en 1996 est signé un accord de partenariat et de coopération. En 2004, l’Arménie (avec la Géorgie et l’Azerbaïdjan) intègre la politique européenne de voisinage, avant de bénéficier à partir de 2009 du Partenariat oriental de l’Union Européenne. Mais c’est à partir de 2017 et la signature d’un partenariat global renforcé que le processus s’accélère. Ce partenariat est ratifié en 2021 après la révolution démocratique que connait l’Arménie en 2018. A la demande d’Erevan, l’Union Européenne va déployer une mission pour la stabilité des frontières entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. La ratification du statut de Rome de la Cour Internationale de Justice en octobre 2023 par Erevan, une condition pour qu’un Etat rejoigne l’Union Européenne, a rapproché les deux puissances. Depuis, les rencontres se sont multipliées entre les dirigeants arméniens et européens.
Des obstacles à lever
Il reste néanmoins encore des points à traiter pour que l’Arménie rejoigne un jour l’Union Européenne. La grande différence de développement entre l’Union Européenne et l’Arménie peut retarder cette intégration. Aujourd’hui, le PIB par habitant ne s’élève qu’à 8575 dollars en Arménie, alors que la moyenne européenne atteint 43400 dollars (2024) et que la Bulgarie, l’Etat le moins riche de l’Union Européenne jouit cependant d’un PIB par habitant de près de 17 000 dollars. Cependant, une possible adhésion accélérée de l’Ukraine et de la Moldavie pourrait faire école, et pousser Bruxelles à intégrer plus rapidement deux Etats du sud-Caucase comme la Géorgie et l’Arménie. Il faudra toutefois convaincre l’opinion publique européenne de l’intérêt d’une adhésion européenne à l’Union Européenne.
Des soutiens européens
Au sein de l’Union Européenne, Erevan peut compter sur quelques soutiens, notamment la France, qui depuis 2001 reconnait officiellement le génocide arménien de 1915. Forte de la présence d’une diaspora arménienne de 350 000, la France s’est engagée pour une plus grande intégration de l’Arménie dans l’Union Européenne.
Du côté de la défense, Paris a annoncé en octobre 2023 vendre du matériel militaire défensif à Erevan. Des troupes arméniennes suivent aussi des formations données par des militaires français. Cette coopération a déplu à l’Azerbaïdjan qui en représailles a tenté de déstabiliser les collectivités d’outre-mer françaises en soutenant des manifestations. Lors de sa visite en Arménie, Stéphane Séjournée a insisté sur le fait que Paris soutiendra la coopération avec Erevan en matière de sécurité.
Au niveau économique un accord de coopération a été signé entre les deux Etats en décembre 2021, mais les échanges restent modestes, la France n’est que le 11e partenaire commercial de l’Arménie. Les grands groupes français sont tout de même présents dans ce pays du Caucase, mais certains investissements français doivent parfois faire face à des obstacles comme le projet de station de ski « Aragate » développé en coopération par le groupe français « Les trois vallées » qui n’a pas été autorisé. De nouveaux forums ont néanmoins été lancés pour accroitre les échanges entre les deux pays.
D’autres Etats européens sont eux aussi engagés du côté de l’Arménie comme l’Allemagne, mais l’Azerbaïdjan compte bien continuer à influencer les Etats européens grâce à ses hydrocarbures et son lobbying auprès des dirigeants européens, et un Etat comme la Hongrie s’est rapproché de l’Azerbaïdjan. Les Etats-Unis pourraient cependant pousser les Européens à renforcer leurs relations avec l’Arménie. Si par le passé Washington a pu s’inquiéter des liens que l’Arménie entretenait avec l’Iran, les Etats-Unis cherchent aujourd’hui à la fois à stabiliser la région stratégie du Caucase du sud et à diminuer l’influence de la Russie dans la région. Quant à la Chine, elle ne verrait pas d’un mauvais œil le rapprochement entre l’Union Européenne et l’Arménie, un pays où ses intérêts sont de plus en plus présents.
Auteur: Sébastien Goulard est le fondateur et rédacteur de Global Connectivities.