La compétition internationale autour du corridor de Lobito

En avril 2024, les Etats-Unis ont annoncé un nouveau soutien financier au Corridor de Lobito, un axe majeur de développement en Afrique.

par Sébastien Goulard

En Afrique centrale le Corridor de Lobito devrait permettre de mieux relier ensemble les Etats de l’Angola, de la Zambie et de République Démocratique du Congo (RDC) et leur assurer ainsi une prospérité commune. Aujourd’hui, le développement du Corridor de Lobito est devenu un projet majeur qui intéresse l’Afrique, mais aussi au-delà.

Le Corridor de Lobito

Le Corridor de Lobito consiste en une ligne de chemin de fer de près de 1300 km, partant de Ndola en Zambie, et débouchant sur le port de Lobito en Angola. Une partie du trajet passant aussi par les provinces du Lualaba et du Haut-Katanga en RDC, qui avec le nord de la Zambie constituent la Copper Belt. Cette ligne devrait être complétée par un réseau de routes secondaires qui permettra de mieux relier les mines zambiennes et congolaises au marché mondial. Car contrairement à d’autres projets d’infrastructures, le corridor de Lobito est construit tout d’abord pour le transport de minerais. Il s’agit en fait de rénover et de rallonger des lignes qui avaient déjà été construites au début du 20e siècle sous la colonisation portugaise

Des entreprises minières basées au RDC ont déjà fait part de leur intention d’utiliser le corridor de Lobito pour exporter leur production. Aujourd’hui les minerais de cuivre ou de cobalt provenant du sud de la RDC sont exportés via les ports de la Tanzanie à l’Est, ou après un long parcours à travers l’Afrique australe jusqu’à Durban. Ces solutions de transport provoquent des congestions sur des réseaux routiers encore inadaptés, et rallongent les délais sur les chaines d’approvisionnement.

Sur le segment angolais, les travaux ont bien avancé. Le chemin de fer entre Lobito et Luao, à la frontière zambienne est terminé et opérationnel depuis 2019. Il a été construit par l’entreprise chinoise China Railway 20 Bureau Group Corporation (CR20).

En juillet 2023, le gouvernement angolais accordait une concession de 30 ans sur la ligne du corridor de Lobito au consortium Lobito Atlantic Railway mené par l’entreprise suisse Trafigura. Le consortium pourrait investir jusqu’à 435 millions de dollars en Angola et 100 millions en RDC. Le consortium pourrait opérer jusqu’à 35 locomotives sur la nouvelle ligne.

Luanda a aussi investi dans la rénovation du port de Lobito dans la province de Benguela, qui est devenu attractif pour les opérateurs étrangers. En octobre 2023, le groupe française Africa Global Logistics (AGL) remportait la concession du terminal de Lobito après s’être engagé à investir 100 millions d’euros pour améliorer ses capacités.  

En RDC, des progrès doivent encore être menés pour la connexion ferroviaire au corridor de Lobito, faute d’investissements suffisants par les autorités locales. Cependant lorsque la connexion sera effectuée, le corridor devrait permettre aussi d’accroitre les échanges entre ses trois pays africains.

Le Corridor de Lobito soutenu par les Etats-Unis et l’Union Européenne  

La construction de ce corridor est devenue un enjeu international en raison de l’importance stratégique que revêtent les minerais extraits des sols de la RDC et de la Zambie. Des grandes puissances comme les Etats-Unis et l’Union Européenne ont affirmé leur volonté de financer son développement dans le cadre du Partenariat pour les infrastructures et les investissements mondiaux. Lors du G20 de septembre 2023 à New Delhi, Européens et Américains ont fait une déclaration commune dans laquelle ils annonçaient coopérer dans les investissements liés à la construction de la ligne (notamment entre la RDC et l’Angola), mais pour faciliter les échanges au niveau régional, ainsi que pour apporter des solutions de développement économique et social le long du corridor. Déjà en mai 2023, au sommet du G7 d’Hiroshima, les Etats-Unis avaient annoncé un plan de 250 millions de dollars pour la rénovation du Corridor de Lobito.

De son côté l’Union Européenne signait un accord de partenariat avec la Banque Africaine de Développement concernant les infrastructures du Corridor de Lobito en octobre 2023.

Le 25 avril 2024, Samantha Power, administratrice de l’agence des États-Unis pour le développement international (USAID), s’est rendue à Lobito et y a fait plusieurs annonces confirmant l’intérêt de Washington pour ce nouveau corridor. Ainsi, les Etats-Unis devraient investir jusqu’à 3,5 millions de dollars pour soutenir les entrepreneurs et la société civile angolaise, ainsi que 5 millions pour de projets de connectivité digitale le long du corridor. S’ajouteraient encore 5 autres millions pour un programme de sécurité routière, 900 000 dollars pour un financement d’énergie solaire.

La diversité des actions financées montre que les Etats-Unis comme l’Union Européenne ont adopté une vision inclusive des projets de connectivité, qui n’est pas limitée aux infrastructures.

Une réponse aux ambitions chinoises ?

Le Corridor de Lobito est régulièrement décrit comme une réponse américaine et européenne à la stratégie chinoise de l’initiative Belt and Road en Afrique. La Chine a massivement investi dans les infrastructures de transport en Afrique, par exemple dans le programme ferroviaire Djibouti-Ethiopie, et ces projets ont inquiété les puissances occidentales qui ont développé leurs propres stratégies comme celle du Global Gateway de l’Union Européenne.

Cette rivalité entre ces puissances étrangères, est plutôt vue d’un bon œil pour un pays comme l’Angola, où les besoins en infrastructures sont élevés. La Chine reste un partenaire majeur de cet état pétrolier qui cherche à réduire sa dépendance au secteur des hydrocarbures. L’Angola met en place depuis quelques années de nouvelles réformes pour ouvrir davantage son économie et promouvoir l’innovation, notamment en misant sur le développement de start-ups.  L’Angola se classe ainsi au premier rang de l’Afrique centrale pour son nombre de start-ups. Cette nouvelle stratégie apparait dans le plan de développement « Angola 2050 » adoptée par le parlement angolais en juin 2023.

Beijing espère pouvoir apporter son appui à Luanda dans la diversification de l’économie angolaise, dans une perspective de coopération Sud-Sud. Depuis 2010, la Chine et l’Angola ont établi un partenariat stratégique et aujourd’hui Beijing est de loin le premier partenaire commercial de Luanda.

Comme le note Ovigwe Eguegu (Accord), la Chine a aussi contribué à la modernisation des infrastructures du secteur de l’énergie angolais grâce à l’attribution de nombreux prêts. Ainsi, entre 2020 et 2022 près de 27% des prêts chinois accordés au continent africain avaient pour destination l’Angola. Ces financements ont permis au pays de structurer sa filière hydrocarbures, mais en contrepartie, l’Angola s’est lourdement endetté auprès des banques chinoises. Lors de sa visite à Beijing en mars 2024, le président Joao Lourenço a fait part de la situation difficile, « suffocante », créé par l’endettement de l’Angola auprès de la Chine qui s’élève à 18 milliards de dollars. Cette dette l’Angola la rembourse en partie en pétrole, ce qui a poussé le pays a quitté l’OPEC en décembre 2023 pour produire au-delà des quotas prévus. Mais le président angolais cherche à rétablir un équilibre entre ses différents partenaires pour assurer l’indépendance de son pays. On peut noter par exemple que plusieurs projets liés au Corridor de Lobito ont été revus pour réduire l’influence chinoise. Ainsi par exemple avant d’être confié au groupe AGL, la concession du port de Lobito a été retirée des mains du consortium chinois par CITIC et Shantong Port. Il s’agit pour l’Angola, comme pour les autres Etats africains de trouver un équilibre entre les partenariats avec l’étranger pour atteindre leurs objectifs nationaux de développement.

Le Corridor de Lobito pourrait enfin être rallongé jusqu’au port de Dar es Salaam en Tanzanie, et créerait ainsi une voie ferroviaire transafricaine, qui permettrait l’exportation de minerais congolais et zambiens vers les Etats-Unis et l’Europe par le port de Lobito, et vers la Chine par Dar es Salaam.

Auteur: Sébastien Goulard est le fondateur et rédacteur de Global Connectivities.

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