par Nimra Khalil
En 2023, une grande partie du discours international sur le Pakistan annonçait son effondrement. La chute libre de la roupie avait porté l’inflation à un niveau inédit depuis 48 ans, les taux d’intérêt avaient atteint le record de 22 %, et les réserves de change avaient été réduites à l’équivalent d’un mois d’importations. Le défaut semblait inévitable. Plusieurs multinationales commencèrent à se restructurer ou à quitter le pays, et les analystes déclarèrent que l’économie pakistanaise n’était plus investissable.
Pourtant, ce récit ignorait l’autre versant. Les mêmes chocs ont poussé le Pakistan vers un rebond économique austère mais réel. Les réformes mises en œuvre entre 2023 et 2025 furent douloureuses mais nécessaires : réduction du déficit courant, révision de la politique budgétaire et attraction de nouveaux investissements dans les nouvelles technologies, l’exploitation minière et la logistique. Le résultat est une économie plus solide, qui mérite aujourd’hui d’être reconnue pour sa reprise.
De l’urgence à la désinflation
À la mi-2023, l’inflation dépassait 38 %, obligeant la banque centrale à relever son taux directeur à 22 %, une mesure d’urgence destinée à éviter une crise de la balance des paiements. Ces mesures, combinées à une discipline budgétaire appuyée par le FMI, ont permis de maîtriser la demande intérieure et de stopper les déséquilibres macroéconomiques.
La stratégie a porté ses fruits deux ans plus tard. À la mi-2025, l’inflation était retombée à 7,2 %, et les coûts de l’alimentation et du carburant s’étaient stabilisés. Les taux d’intérêt réels repassés en zone positive, la Banque d’État du Pakistan a ramené son taux directeur à 11 %, permettant au gouvernement d’économiser environ 700 milliards en paiements d’intérêts.
Cette désinflation est le résultat d’une nouvelle discipline : taux de change flexible, subventions rationalisées et restrictions plus strictes sur les importations afin de privilégier l’essentiel sur la consommation.
Du déficit à l’excédent
La politique extérieure du Pakistan s’est également améliorée. Au premier semestre de l’exercice 2025, le compte courant affichait un excédent de 1,2 milliard de dollars (0,3 % du PIB), contre un déficit de 1,1 milliard l’année précédente.
Les réserves de change, tombées à 4,4 milliards début 2023, avaient grimpé à 14,5 milliards en juin 2025, offrant environ 2,5 mois de couverture des importations. La roupie s’est stabilisée, les dettes extérieures ont été apurées, et les arriérés de devises réglés. La dette publique, bien qu’élevée, montrait une tendance à la baisse : le ratio dette/PIB est passé de 75 % en 2023 à 73 % en 2025.
Ces progrès traduisent une stabilisation — mais leur maintien exigera une discipline budgétaire accrue, une augmentation des exportations et une moindre dépendance aux flux externes temporaires.
Vers une consolidation budgétaire
Le redressement du Pakistan est fondé sur la discipline budgétaire. Le déficit s’est fortement réduit, passant à 2,8 % au cours de l’exercice 2025, contre 4,7 % au premier semestre de l’exercice 2024, tandis que l’excédent primaire atteignait un niveau record de 6,6 % du PIB.
Le gouvernement a réorienté les subventions, relevé les taxes sur le commerce de détail et l’immobilier, et augmenté les prélèvements pétroliers, ce qui a accru les recettes. Bien que l’investissement total ait légèrement reculé à 13,1 % du PIB en 2024, Islamabad s’est tournée vers la mobilisation de l’investissement privé via des partenariats public-privé et des réformes favorables aux investisseurs.
L’un des moteurs essentiels fut le Special Investment Facilitation Council (SIFC), une plateforme civilo-militaire facilitant l’approbation des projets, améliorant la coordination inter-agences et offrant aux investisseurs un cadre fiable. Le conseil reflète le retour du Pakistan vers une politique cohérente et un développement à long terme.
Restauration de la crédibilité financière
La crédibilité du changement de cap du Pakistan apparaît clairement dans les indicateurs de risque internationaux. Les spreads des credit default swaps (CDS) souverains ont fortement chuté pour atteindre environ 505 points de base fin 2024. En 2025, les trois principales agences ont relevé la note du Pakistan :
- Fitch a relevé la note à B– (contre CCC+) en avril.
- S&P Global a suivi en juillet.
- Moody’s a relevé sa note de Caa2 à Caa1 en août, citant la solidité des réserves et la fiabilité du service de la dette.
Ces améliorations ont réduit les coûts d’emprunt, restauré l’accès au crédit syndiqué et confirmé le retour du Pakistan en tant qu’emprunteur souverain crédible.
Les investissements étrangers
Si plusieurs multinationales ont restructuré leurs activités, peu ont quitté le pays. En 2023, Shell Pakistan a vendu ses 77,4 % de parts, mais Wafi Energy (filiale saoudienne d’Asyad Group) a racheté 87,8 % des parts et conservé la marque Shell sous licence. Pfizer a transféré son usine de Karachi à Lucky Core Industries, et Telenor Pakistan a amorcé une consolidation avec PTCL (Ufone), garantissant le maintien des opérations sous contrôle local.
Les produits Procter & Gamble sont restés sur le marché malgré sa restructuration de 2025, qui a abouti à un modèle fondé sur la distribution.
Dans le même temps, les flux de capitaux ont augmenté. Entre juillet 2024 et février 2025, les IDE nets ont atteint 1,6 milliard de dollars, en hausse de 41 % en glissement annuel. Le secteur énergétique a attiré près de 600 millions de dollars, les exportations informatiques ont atteint 2,8 milliards en mars 2025, et les travailleurs indépendants ont généré à eux seuls 400 millions de dollars en envois numériques.
Il ne s’agit pas d’une fuite des capitaux, mais d’une évolution des capitaux, les investisseurs se réorientant vers les secteurs de l’énergie, des infrastructures et du numérique sans quitter le Pakistan.
Le Pivot vers les partenaires du Golfe et d’Asie
Les relations extérieures du Pakistan se sont intensifiées. Les Émirats arabes unis ont engagé 10 milliards de dollars d’investissements dans la logistique, les ports et la technologie en 2024. L’Arabie saoudite a renouvelé une promesse de 5 milliards, notamment dans les secteurs minier et minéral.
Plus récemment, le Pakistan et la Malaisie ont signé six nouveaux accords lors de la visite du Premier ministre Shehbaz Sharif à Kuala Lumpur, dont un accord historique de 200 millions de dollars portant sur l’exportation de viande halal — le plus important jamais signé par le Pakistan. Cet accord ouvre l’accès à un marché halal malaisien de 3 milliards de dollars et, plus largement, au commerce de l’ASEAN.
Les investissements directs du Pakistan en Malaisie ont également atteint 397 millions de dollars, signe d’une confiance mutuelle croissante. D’autres mémorandums concernant l’éducation, les PME, le tourisme et la lutte contre la corruption confirment l’orientation du Pakistan vers des partenariats asiatiques plus durables et diversifiés.
Exporter l’innovation plutôt qu’importer les crises
Le modèle économique pakistanais évolue d’une économie de consommation vers une économie de production. Le gouvernement a notamment accordé aux exportateurs, en particulier dans les technologies, la possibilité de conserver 50 % de leurs revenus en devises. L’exploitation du cuivre et des terres rares fait l’objet d’enchères menées par la National Minerals Company, et la sécurité alimentaire comme les exportations ont été renforcées grâce à de bonnes récoltes de blé et de riz.
Ces réformes, associées aux projets financés par le SIFC dans les énergies renouvelables, la logistique et l’industrie de défense, annoncent une transformation structurelle vers la productivité et l’autosuffisance.
Pourquoi le récit doit changer
Des défis persistants — faible collecte fiscale, pauvreté, instabilité politique — continuent d’exister, mais ils ne déterminent plus à eux seuls la trajectoire économique du pays. Les taux d’intérêt ont reculé de 1 100 points de base entre 2023 et 2025 grâce à la baisse de l’inflation, et la confiance des investisseurs s’est rétablie.
Les investisseurs régionaux majeurs, comme les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, n’engageraient pas des milliards dans un pays qu’ils jugeraient instable. Leur implication témoigne de leur confiance dans la trajectoire de réformes du Pakistan : politique monétaire stricte, suppression des subventions énergétiques, élargissement de la base fiscale et simplification de la gouvernance sous l’égide du SIFC.
En laissant la roupie retrouver sa valeur de marché, en supprimant les subventions intenables et en restructurant les entreprises publiques déficitaires, Islamabad a restauré sa crédibilité macroéconomique. L’enjeu est désormais de capitaliser sur ces acquis, d’intensifier les réformes, d’élargir encore la base fiscale et de renforcer l’État de droit.
Un Pakistan plus discipliné et plus sûr de lui est en train d’émerger — un pays qui a tiré parti de la crise au lieu d’en être submergé. Pour les investisseurs qui voient que le Pakistan n’est pas en train de s’effondrer mais de rebondir, il y a un nouveau récit à écrire.












