CMA-CGM au port de Lattaquié, vers la renaissance de la Syrie

En mai 2025, CMA-CGM a signé un accord de 30 ans avec le gouvernement de transition syrien pour moderniser et exploiter le port de Lattaquié.

par Sébastien GOULARD

Au début du mois de mai 2025, l’armateur français CMA-CGM a signé un accord avec le gouvernement syrien pour exploiter le port de Lattaquié.

L’accord Syrie-CMA CGM

Selon les premières informations, le groupe CMA-CGM se verrait confier la gestion du principal port syrien pour une durée de 30 ans, en échange d’investissements à hauteur de 230 millions d’euros pour moderniser les infrastructures portuaires et les adapter aux  normes internationales. Les revenus générés par les activités portuaires devraient être partagé entre l’état syrien (60% des revenus) et CMA-CGM (40%).

Ce nouvel accord signale une normalisation de la situation en Syrie. Le régime de Damas connait une transformation avec la chute de Bachar al-Assad le 8 décembre 2024.  Depuis la fin janvier 2025, le pays est dirigé par Ahmed Hussein al-Charaa, Président de la république par intérim qui a pour ambition de faire réintégrer son pays dans le concert des nations.

Une levée des sanctions contre Damas ?

Suite à la chute de l’ancien régime, l’Union Européenne levait certaines sanctions à l’encontre de Damas afin de favoriser la reprise des échanges, notamment dans les secteurs de l’énergie, des transports et de la finance. Cependant en raison des différents heurts interconfessionnels que la Syrie connait depuis le début de l’année 2025, l’Union Européenne n’a pas souhaité lever toutes les sanctions et reste très prudente concernant l’évolution de la situation en Syrie.

Bruxelles a accueilli en mars dernier, la neuvième conférence des donateurs pour la reconstruction de la Syrie, la communauté internationale s’est engagée à mobiliser 5,8 milliards d’euros pour la Syrie, l’Union Européenne devrait verser 2,5 milliards d’euros dans les deux ans. Les besoins sont extrêmement élevés dans ce pays qui n’a connu que la guerre depuis quatorze ans. Toutes les infrastructures sont à reconstruire. Pour l’Union Européenne, il y a priorité à rétablir la stabilité et la réconciliation en Syrie pour empêcher la résurgence d’un Etat Islamique et des flux migratoires incontrôlés vers ses frontières.

Cependant la situation en Syrie reste précaire, le nouveau gouvernement doit encore prouver qu’il travaille pour tous les Syriens et protège toutes les minorités y compris les Druzes, les Alaouites et les Chrétiens. L’Union Européenne insiste notamment à ce que les massacres perpétrés contre la minorité alaouite début mars ne restent pas impunis, et pourrait dans le cas contraire poursuivre les sanctions. Le gouvernement syrien doit donc dénoncer les fondamentalistes musulmans qui menacent la paix en Syrie. Il doit aussi gérer l’avancée des troupes israéliennes au sud-ouest du pays qui espèrent établir une zone tampon dans la région.

Au nord, le nouveau gouvernement syrien doit régler la question de l’occupation par les rebelles soutenus par la Turquie.

Dans ce contexte difficile, le développement de nouvelles activités portuaires à Lattaquié est une nécessité pour Damas.

Le port de Lattaquié

Durant la guerre civile (2011-2024), le port de Lattaquié soumis aux sanctions internationales et aux attaques de Tsahal a vu ses activités diminuer. Les principaux alliés de Bachar el-Assad, l’Iran et la Russie se sont alors implantés dans le port. Pour Téhéran, il s’agissait ainsi d’avoir accès à la Méditerranée, l’Iran espérait s’implanter durablement dans le port de Lattaquié. La Russie ouvrait une base navale dans le port de Tartous à moins de cent kilomètre au sud de Lattaquié et utilisait l’aéroport de Khmeimim près de Lattaquié. Mais suite à la chute du régime de Bachar el-Assad, la présence russe est remise en question par le gouvernement de transition, et  en janvier 2025, le nouveau gouvernement dénonçait l’accord qui donnait la gestion du port de Tartous à une entreprise russe.

Le port de Lattaquié devrait jouer un rôle majeur dans la reconstruction du pays.

CMA-CGM en Syrie

L’entreprise CMA-CGM n’est pas un nouvel acteur en Syrie, l’accord conclu avec les nouvelles autorités ne fait que confirmer la présence du groupe à Lattaquié. Terminal Link, une filiale de CMA-CGM (51%) et China Merchants (49%) gère le port de container de Lattaquié depuis 2009, et son contrat était renouvelé régulièrement. L’un des principaux changements du nouvel accord est sa durée : CMA-CGM confirme sa présence dans le port pour trente ans, ce qui lui donne le temps de moderniser ses infrastructures et de faire de Lattaquié un pôle majeur dans la région.

Le groupe CMA-CGM appartient à la famille Saadé, originaire du Liban, et qui conserve des attaches fortes au Levant. Mais la décision prise concernant le développement du port de Lattaquié n’est pas que sentimentale. D’une part, CMA-CGM est déjà bien implanté dans les principaux ports du Liban à Beyrouth et Tripoli. D’autre part, la Syrie devrait débuter une  phase de reconstruction et aura donc besoin d’augmenter ses importations pour répondre à ses nouveaux besoins. Le cout de cette reconstruction pourrait atteindre jusqu’à 400 milliards de dollars. Lattaquié devrait être la principale porte d’entrée de ce développement.

L’économie du pays a été sévèrement touchée par la guerre civile, et beaucoup d’infrastructures sont à reconstruire. Le nouveau gouvernement de Ahmed Hussein al-Charaa a pour objectif de faire revenir aux pays les Syriens qui ont fuit la guerre pour qu’ils investissent dans l’économie.  Aujourd’hui, les exportations syriennes sont limitées, elles comprennent principalement des produits du secteur agricole (huile d’olive, pommes, épices), du coton et des engrais. Après reconstruction, la Syrie pourrait exporter à nouveau des hydrocarbures

Pour CMA-CGM, ce nouvel accord est un pari sur l’avenir, la stabilisation de la Syrie devrait attirer les investisseurs en provenance d’Europe, mais aussi du Golfe ou de Chine, et le port de Lattaquié devrait voir son trafic augmenter.

Auteur: Sébastien Goulard est le fondateur et rédacteur de Global Connectivities.

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