Le retour de l’IMEC?

Le Premier Ministre Indien semble vouloir faire avancer à nouveau le corridor Inde-Moyen-Orient-Europe (IMEC).

par Sébastien GOULARD

Lors de leur rencontre à Washington, le 13 février dernier, le Premier ministre indien Narendra Modi et le Président américain Donald Trump ont évoqué la relance du corridor Inde, Moyen-Orient, Europe (India, Middle-East, Europe Corridor, IMEC).

La veille, le Premier ministre Indien, après avoir ouvert le Sommet pour l’IA à Paris, s’était rendu à Marseille dans les locaux de l’entreprise CMA-CGM,  pour annoncer, accompagné du Président français Emmanuel Macron, sa volonté de relancer le projet d’IMEC. La France bénéficierait ainsi du nouveau corridor en faisant de Marseille un nouveau hub en Méditerranée occidentale. Cependant, cette annonce n’a pas été accompagnée de détails sur les investissements et opérations concrètes à mener pour sa réalisation. Les deux dirigeants ont ainsi conscience des défis majeurs à la mise en place d’un tel corridor. D’autres pays européens, notamment l’Italie, espèrent aussi embarquer dans ce projet.

L’IMEC

L’IMEC est une initiative présentée par l’Inde lors du sommet du G20 de Delhi en septembre 2023 qui a pour objectif de développer les échanges entre l’Inde, le Moyen-Orient et l’Europe via la création de nouvelles infrastructures, dont des terminaux portuaires et des nouvelles lignes ferroviaires. Les Emirats et Israël y joueraient le rôle de hubs intermédiaires entre l’Inde et l’Europe.  Ce projet était envisagé alors que certains pays arabes se rapprochaient d’’Israël. Avec l’IMEC, l’Inde désirait ainsi doubler la Chine et ses nouvelles routes de la Soie, dont l’axe principal avec l’Europe passe par la Russie et a été durement affecté par l’invasion de l’Ukraine par Moscou.

Le I2U2

L’IMEC est complété par une autre initiative portée par Washington et Delhi, le I2U2 pour India, Israel, United Arab Emirates et United States, un format né en 2022 qui encourage tout type de coopération entre ses quatre Etats, et qui pourrait s’ouvrir à d’autres Etats de la région, notamment l’Arabie Saoudite. L’Inde jouit de très bonnes relations à la fois avec Israël et les Emirats, et ces deux pays se sont fortement rapprochés depuis les accords d’Abraham obtenus en août 2020. L’initiative I2U2 pourrait servir de soutien au développement de l’IMEC puisque le projet, au-delà des infrastructures prévues, ne pourra être viable que si les échanges continuent de progresser entre l’Inde, les Emirats et Israël.   

Les obstacles à l’IMEC

Les obstacles qui ont empêché la mise en place de l’IMEC, quelques semaines après avoir été annoncé au G20 2023, n’ont pas été levés.

L’IMEC nécessite tout d’abord le retour de la sécurité, -et de la coopération-, au Moyen-Orient. Les attaques du 7 octobre menées par le Hamas, et la réaction d’Israël qui en a découlé ont rabattu les cartes dans la région et ont éloigné les perspectives de paix. La création d’un Etat palestinien reste une condition sine qua none pour que Riyad normalise ses relations avec Israël. Sans le soutien et la participation de l’Arabie Saoudite, le nouveau corridor a peu de chance de se réaliser. La récente déclaration du Premier ministre israélien Netanyahou appelant l’Arabie Saoudite à accueillir les Palestiniens pour qu’ils créent un Etat dans le Royaume n’a pas été bien accueillie par le prince héritier Mohammad Ben Salmane. Riyad a pour ambition de peser sur les affaires du monde, par exemple en accueillant les négociations russo-américaines sur l’Ukraine, et devrait donc jouer un rôle central dans la construction de l’IMEC.

Les autres acteurs régionaux, la Jordanie, l’Egypte ou encore la Syrie libérée de Bachar al-Assad devraient aussi avoir une place dans cette initiative, notamment la Jordanie, au moins sur le projet de ligne ferroviaire reliant les Emirats à Israël. 

Un autre sujet d’inquiétude est la persistance des attaques menées par les Houthis en mer rouge. Si ces derniers se sont récemment engagés à réduire leurs raids, ils persistent à vouloir attaquer les bateaux israéliens et font toujours peser des menaces sur le trafic maritime dans la région.  Bien que la route maritime entre l’Inde et les Emirats ne passe pas par la mer Rouge, les Houthis continuent de menacer les principales infrastructures de la péninsule arabe.

Pour être complet et jouer vraiment le rôle de corridors entre l’Europe et l’Inde, l’IMEC a besoin que le conflit israélo-palestinien soit résolu, ou tout du moins, que l’Arabie Saoudite et Israël normalisent leurs relations.

L’IMEC et le Président Trump

On peut se demander pourquoi le Premier ministre indien tente de relancer ce projet à ce moment précis. Tout d’abord le Premier ministre indien veut montrer que l’Inde peut jouer un rôle au Moyen-Orient en capitalisant sur le cessez-le-feu conclu entre le Hamas et Israël, le 15 janvier dernier.  New Delhi entretien de bonnes relations à la fois avec Israël et avec les principales monarchies du Golfe, et si par le passé, l’Inde s’était rapprochée de l’Iran, notamment sur des questions d’énergie, New Delhi se montre aujourd’hui critique de l’appui de Téhéran à certains groupes terroristes dans la région.  

Le Premier ministre indien a aussi compris que l’IMEC a besoin de l’aval des Etats-Unis pour se réaliser. Ce corridor avait été imaginé en 2023 comme un potentiel concurrent à la route maritime de l’initiative chinoise « Belt and Road ». Avec le retour de Donald Trump, dans un contexte de forte rivalité avec la Chine, le concept de pivot vers l’Asie est devenu dans la politique commerciale et étrangère des Etats-Unis. Le Président américain semble soutenir l’initiative qu’il qualifie de « route la plus importante de l’histoire ». Trump voit dans l’Inde un partenaire majeur des Etats-Unis pour vendre des équipements militaires dont le chasseur F35, mais aussi pour contrebalancer l’influence de la Chine au Moyen-Orient, qui est aujourd’hui le premier importateur de pétrole saoudien. Cependant lors de cette rencontre, le Président américain a à nouveau menacé New Delhi d’une augmentation des droits de douanes sur les importations indiennes. Il est clair pour le Premier ministre indien qu’un soutien américain au corridor IMEC ne sera apporté que si les Etats-Unis y voient un intérêt économique.

Author: Dr. Sebastien Goulard is the founder and editor-in-chief of Global Connectivities.

Auteur: Sébastien Goulard est le fondateur et rédacteur de Global Connectivities.

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