par Sébastien GOULARD
La guerre en Ukraine remet en question l’utilisation du pont continental eurasiatique qui relie la Chine à l’Europe, le principal corridor de l’initiative « Belt and Road ». La décision prise par la Pologne de fermer entièrement sa frontière avec la Biélorussie marque un coup d’arrêt à ligne ferroviaire qui reliait l’Europe à la Chine.
L’intransigeance polonaise
La décision de Varsovie est motivée par l’entrée de drones russes à l’intérieur dan son territoire, et la tenue de l’exercice militaire « Zapad-2025 » entre la Russie et la Biélorussie à quelques enclavures de la frontière polonaise. Ces actions sont examinées avec attention par la Pologne et l’ensemble de ses partenaires européens qui redoutent une possible agression de la Russie. Pour marquer sa préoccupation envers les menaces de la Russie, le gouvernement polonais a décidé, de manière unilatérale, de fermer entièrement sa frontière avec la Biélorussie entrainant la coupure des lignes ferroviaires qui reliaient le pays à l’Asie centrale et à la Chine.
Près de Terespol, dans l’Est de la Pologne, les entreprises locales et étrangères ont massivement investi dans le développement des infrastructures ferroviaires et de logistique à Małaszewicze, pour en faire un hub entre l’Union Européenne et la Chine. La fermeture de la frontière montre bien le sérieux de la situation pour Varsovie. Les frontières étant fermées, il n’est pas n’ont plus possible pour les chauffeurs de poids lourds biélorusses de se rendre de l’autre côté de la frontière. Certaines marchandises (produits alimentaires ou médicaments) pourraient être périmés en raison de cette fermeture.
Un axe majeur de l’initiative « Belt and Road »
La fermeture (temporaire ?) de cette ligne affecte fortement le développement de l’initiative « Belt and Road » chinoise. Si le projet de nouvelle route de la Soie initié par la Chine depuis 2013 comprend plusieurs corridors, le plus important reste celui qui relie la Chine à l’Europe et qui passe par la Russie et la Biélorussie. Près de 25 milliards d’euros de marchandises sont échangés chaque année par voie ferrée entre la Chine et l’Union Européenne, et la majorité passe par la Pologne. La fermeture de la frontière avec la Biélorussie peut être considérée aussi comme un camouflet administré à la Chine dans un contexte de tensions commerciales entre Bruxelles et Beijing. La valeur des produits échangés via le train n’est pas significative par rapport au commerce maritime, et représente moins de 5% de l’ensemble du commerce entre la Chine et l’Union Européenne, les échanges commerciaux entre la Chine et l’Union Européenne ne devraient pas être impactés par cette fermeture, mais d’un point de vue symbolique, il s’agit d’un revers pour le projet chinois de nouvelles routes de la Soie
La Chine voit ainsi plusieurs de ses projets liés à l’initiative « Belt and Road » connaitre des difficultés. Même avant la fermeture de la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, les échanges entre la Chine et l’Europe effectués via le train, -mêmes s’ils voyaient leur volume augmenter-, étaient déséquilibrés au profit de la Chine. De nombreuses entreprises européennes étaient réticentes à faire voyager leurs marchandises sur le territoire russe pour des questions d’assurance, depuis l’invasion de l’Ukraine.
Le corridor Sud, qui passe par l’Iran, n’a jamais réussi à se structurer malgré l’intérêt affiché par Téhéran de développer de nouveaux liens avec la Chine, sans être soumis aux sanctions occidentales.
De même au Pakistan, la Chine connait des difficultés dans la construction du corridor économique qui doit relier ses provinces occidentales à la mer d’Oman, en raison notamment des problèmes de sécurité intérieure auxquels fait face Islamabad.
En Russie, malgré « l’amitié d’acier » qui lie Moscou et Beijing, les projets liés à l’initiative « Belt and Road » n’avancent guère en raison des difficultés économiques que rencontre la Russie. Après des années de succès, durant lesquels des projets ambitieux liés aux nouvelles routes de la Soie ont été mis en place, l’initiative chinoise bloque en raison de l’évolution du contexte géopolitique. En plus de la tendance profonde de montée du protectionnisme qui n’a cessé de se renforcer depuis le premier mandat de Donald Trump, la dégradation des relations internationales en Ukraine mais aussi au Moyen-Orient, ralentit les projets internationaux de connectivité promus par Beijing.
Des alternatives ?
La fermeture de la frontière entre la Pologne et la Biélorussie devrait entraîner des conséquences limitées sur les autres routes commerciales terrestres entre la Chine et l’Europe. La route passant par le Caucase et la Caspienne évite ainsi intégralement le territoire russe, mais même si ce corridor est prometteur, ses capacités sont moindres que celles du pont eurasiatique, le transport de marchandises est plus cher et plus long. Si la crise venait à persister, les entreprises devraient se reporter vers le commerce maritime. Bien que soumis lui aussi aux tensions internationales, notamment en mer Rouge, le commerce maritime reste plus prévisible.
Un soutien chinois, -limité-, à la Pologne ?
La décision prise par Varsovie n’a pas manqué de faire réagir les autorités chinoises. Le ministre des Affaires étrangères Wang Yi en déplacement en Pologne le 16 septembre 2025 a tenté de convaincre son homologue polonais Radoslaw Sikorski de rouvrir la frontière pour faire passer les trains du reliant la Chine à l’Europe. La réponse de la Pologne est que la priorité est donnée aux enjeux de sécurité nationale et non aux intérêts commerciaux.
Pour assouplir la position de Varsovie, Beijing pourrait accorder plus d’attention à la Pologne. Lors de sa visite, le ministre des Affaires Etrangères a déclaré que la Chine soutenait la candidature de la Pologne au G20, alors que le pays a rejoint le club des économies dont le PIB dépasse les 1 000 milliards de dollars. Cependant il en faudra plus pour convaincre le gouvernement polonais.
Du côté chinois, le blocage de ce corridor des routes de la Soie ne devrait pas entraine de remise en question de sa politique étrangère ; la Chine reste relativement bienveillante envers la Russie pour les Européens. On peut s’attendre tout de même à ce que la Chine use de son influence sur Moscou pour éviter à l’avenir que des exercices militaires se tiennent à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie par provocation. Cependant les récentes incursions de drones et d’avions militaires russes dans des pays de l’Union Européenne tels que la Pologne, la Roumanie et l’Estonie, montrent qu’un cap a été franchi et qu’il sera difficile de revenir en arrière.
Dans ces conditions la Chine semble relativement impuissante, elle ne peut mettre officiellement la pression sur son partenaire stratégique au risque d’être désavouée, et ses intérêts économiques progressent en Russie. Il n’empêche, il s’agit d’un signal fort envoyé à Beijing qui voit un de ses principaux projets de l’initiative « Belt and Road » affaibli. Le « pont continental eurasiatique » était jusqu’alors le projet de la BRI le plus abouti et est aujourd’hui menacé par la politique étrangère de Moscou, sur laquelle Beijing n’a pas d’emprise.
Une position polonaise qui fait consensus
On peut noter que ni la Commission Européenne, ni les Etats membres de l’Union n’ont officiellement manifesté un désaccord avec la décision de la Pologne. L’Europe semble approuvé les précautions adoptées par Varsovie, aux dépends de des projets de connectivité chinois. Washington voit aussi d’un bon œil cette fermeture, qui affaiblit les relations entre l’Union Européenne et la Chine.
Beijing ne semble pas prendre conscience que la guerre en Ukraine, et le soutien, officiel ou non, apporté par la Chine à la Russie est dommageable pour les relations sino-européennes. La sécurité nationale prime sur l’économie.