Une manœuvre commerciale téméraire

Alors que les États-Unis imposent des tarifs douaniers massifs à 14 pays, cette manœuvre unilatérale menace la stabilité économique mondiale.

par Muhammad Asif NOOR

Alors que le monde se prépare à affronter le 1er août — une date devenue un symbole de confrontation dans le commerce mondial — les répercussions de l’ultimatum tarifaire radical lancé par le président américain Donald Trump se font sentir sur tous les continents. Quatorze pays, incluant des alliés stratégiques et des économies en développement, ont été informés de l’imposition de droits de douane uniformes allant de 25 à 40 % sur leurs exportations vers les États-Unis. Présentée comme une mesure corrective contre les déséquilibres commerciaux, cette décision est largement perçue comme une démonstration flagrante de coercition économique américaine, au détriment de la stabilité mondiale.

La justification avancée par l’administration Trump — résorber les déficits commerciaux et affirmer la souveraineté nationale — semble bien mince face à la sévérité des mesures adoptées. Le Japon et la Corée du Sud, dont les excédents commerciaux avec les États-Unis atteignaient respectivement 68,5 et 66 milliards de dollars en 2024, se voient imposer des droits de 25 %. Pourtant, la même sanction s’applique à la Malaisie, dont le déficit avec les États-Unis est pourtant largement inférieur. Pour les économies plus modestes comme le Laos ou le Myanmar, les droits de 40 % menacent des pans entiers de leur secteur exportateur, malgré des volumes d’échange dérisoires. Ce ciblage inégal et disproportionné révèle que cette politique tarifaire vise moins des résultats chiffrés que des signaux géopolitiques.

La Chine, bien qu’absente de la liste des quatorze pays concernés, reste au cœur de cette stratégie. Un droit de douane séparé de 10 % demeure en vigueur sur les produits chinois, dans le cadre de ce que Washington qualifie d’« accord-cadre ». Mais l’architecture de cette politique semble conçue pour affaiblir l’écosystème économique chinois en frappant ses partenaires commerciaux régionaux — dont beaucoup sont intégrés dans les chaînes de valeur chinoises. Des pays comme la Malaisie, la Thaïlande ou le Laos ne sont pas seulement des partenaires commerciaux des États-Unis ; ils constituent également des hubs essentiels dans les réseaux d’exportation et d’assemblage de la Chine. L’objectif implicite est de perturber le flux de biens intermédiaires qui forme l’épine dorsale de l’interdépendance industrielle en Asie.

Pour de nombreux pays, les tarifs du 1er août risquent de compromettre des modèles de croissance patiemment construits autour des exportations. Le Bangladesh et le Cambodge, qui dépendent fortement de l’exportation de vêtements à bas coût vers les États-Unis, ont déjà averti que des fermetures massives d’usines et des pertes d’emplois sont à prévoir. L’Afrique du Sud, confrontée à une taxe de 30 %, a proposé des concessions, incluant des achats de gaz naturel liquéfié et des quotas automobiles, mais Washington est resté évasif. L’Union européenne, dont le commerce bilatéral avec les États-Unis s’est élevé à 1 700 milliards d’euros l’an dernier, fait face à une taxe de 30 % à moins qu’un accord de dernière minute ne soit trouvé. Le bloc a différé ses contre-mesures, mais des droits de rétorsion sur des produits américains — du bourbon aux avions Boeing — restent envisagés.

Aux États-Unis mêmes, la logique économique de cette croisade tarifaire demeure discutable. Le secrétaire au Trésor, Scott Bessent, prévoit des recettes douanières de plus de 300 milliards de dollars d’ici la fin de l’année — une estimation davantage motivée par des considérations politiques que par une véritable planification économique. Les marchés ont déjà réagi négativement. Le Dow Jones a chuté de plus de 400 points à l’annonce de l’extension des tarifs, et l’incertitude pousse les entreprises à retarder leurs investissements. Pamela Coke-Hamilton, directrice du Centre du commerce international, a mis en garde : l’imprévisibilité de cette politique tarifaire est aussi préjudiciable que les tarifs eux-mêmes, surtout pour les économies fragiles qui tentent encore de se remettre des chocs liés à la pandémie et aux conflits.

La réponse chinoise, mesurée mais significative, souligne le clivage idéologique plus large qui structure désormais l’économie mondiale. Là où les États-Unis instrumentalisent le commerce à des fins politiques à court terme, la Chine mise sur la diplomatie, le financement du développement et l’intégration régionale pour construire une influence durable. Le soutien de Pékin aux institutions multilatérales et sa stratégie de croissance fondée sur les infrastructures contrastent vivement avec les menaces tarifaires et l’unilatéralisme de Washington.

Ironie du sort : en isolant ses partenaires et en fragilisant les chaînes d’approvisionnement, les États-Unis pourraient précipiter précisément ce qu’ils cherchent à éviter — l’émergence de la Chine comme acteur économique plus fiable et respectueux des règles internationales. Tandis que Washington éloigne ses anciens alliés, Beijing tisse de nouveaux partenariats — discrètement mais stratégiquement. Le message adressé au reste du monde devient de plus en plus clair : l’engagement économique n’a pas besoin d’ultimatums.

À l’approche de l’échéance tarifaire, la vraie question n’est pas de savoir si le monde peut supporter un nouvel accès de protectionnisme américain, mais s’il peut encore se permettre de céder face à une puissance qui considère le commerce mondial comme un champ de bataille. La crédibilité du système commercial international repose sur la prévisibilité, le respect des règles et les avantages mutuels. Aucun de ces principes n’est servi par l’ultimatum lancé par Trump pour le mois d’août.

Dans ce moment de fragilité, le monde doit se tourner vers des forces de stabilisation. Le soutien constant de la Chine au multilatéralisme et à la diplomatie économique offre un contrepoids nécessaire. Tandis que le drame tarifaire se joue à Washington, c’est à Beijing, Jakarta et Brasília qu’émerge un consensus plus discret, fondé sur la coopération plutôt que la coercition, sur le partenariat plutôt que la punition. Ce sera peut-être là la véritable histoire de ce mois d’août 2025.

Auteur: Muhammad Asif Noor est le fondateur du Forum des Amis de la BRI, conseiller principal au Centre de Recherche du Pakistan à l’Université Normale du Hebei en Chine.

Cet article reflète les opinions personnelles de l’auteur et non nécessairement celles de Global Connectivities.

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