par Sébastien GOULARD
Le port de Taba et le développement du Sinaï
En janvier 2025, le Président égyptien Al-Sissi a approuvé le projet de construction du port de Taba en mer Rouge. L’ambition du leader égyptien est de faire de ce port un nouveau hub maritime. Situé dans le gouvernorat du sud-Sinaï, à la frontière avec Israël, à seulement dix kilomètres du port israélienl d’Elat, le nouveau port de Taba devrait s’étendre sur près de 220 500 m², le transformant en l’une des portes d’entrée principales de l’Egypte sur le monde. Il existe aujourd’hui une marina dans le port de Taba qui ne peut accueillir que des bateaux de loisirs ou de croisières. L’entreprise qui gère le Canal de Suez devrait se voir confier la construction du nouveau port pour un budget de 4 milliards de livres égyptiennes (soit 70 millions d’Euros). Ce nouveau port devrait devenir une pièce maitresse de l’aménagement de la péninsule du Sinaï, et complétera les autres projets programmés au Sinaï. Ainsi en 2024, une ligne de train reliant Al-Fardan à Bir al-Abda au nord de la péninsule a été remise en service après une fermeture de près de 50 ans, grâce à l’amélioration des relations avec Israël et du retour de la sécurité dans la région. Déjà au début des années 2020, de nouvelles routes et tunnels ont été construits dans la péninsule pour assurer la revitalisation économique de la région. De nouveaux projets renforçant la connectivité entre le port de Taba, la région du Sinaï et les pays voisins de la mer Rouge devraient voir le jour prochainement.
Les défis de ce nouveau port
Cependant, pour transformer le port de Taba en hub régional, le pouvoir égyptien devra répondre à plusieurs défis qui pourraient ralentir son projet.
Une coopération régionale accrue
Tout d’abord, le nouveau port de Taba se situe dans un environnement relativement concurrentiel, proche du port israélien d’Elat, du port jordanien d’Aqaba et de la ville nouvelle saoudienne de NEOM. Sans coordination entre ces différents pays, le projet égyptien ne pourra pas avancer. Chaque infrastructure devra se spécialiser et construire son propre rôle pour faire de la région une destination financière et logistique unique. Aujourd’hui, les tensions dues au conflit israélo-palestinien sont un obstacle à une réelle coopération régionale comme le démontrent les retards qu’accuse le projet d’IMEC (India Middle-East Europe Corridor). Les bonnes relations entre Le Caire et Ryad sont essentielles pour la réussite de ce projet, les deux parties partagent des intérêts communs pour assurer le développement de leur littoral en mer Rouge. En juin 2025 a été confirmé la construction prochaine d’un pont-tunnel qui relierait le Sud du Sinaï (près de Sharm el-Sheikh) à l’île de Tiran et le littoral saoudien. Les deux états se sont rapprochés comme en témoigne aussi le porte-parole du gouvernement égyptien Mohamed al-Homsany en mai 2025. En effet, les liens économiques entre les deux pays se renforcent avec des investissements conséquents de la part des entreprises saoudiennes dans le secteur industriel égyptien. Mais au niveau politique, ces relations restent fragiles alors que l’influence des Etats de la péninsule arabe, et en premier lieu de l’Arabie saoudite, grandit au détriment de l’Egypte.
L’enjeu de la sécurité au Moyen-Orient
La résurgence du conflit israélo-palestinien suite aux attaques terroristes du 7 octobre 2023 pèse sur les relations israélo-égyptiennes. Alors que le Président égyptien a récemment célébré la « paix décennale » entre les deux pays, qui pourrait servir de modèle dans la région, la population égyptienne semble plus partagée et une partie soutient les habitants de Gaza. Pour assurer le succès du port de Taba, les autorités égyptiennes devront poursuivre une politique de conciliation avec Israël et construire de nouvelles coopérations. Le port de Taba ne sera qu’à quelques kilomètre d’Elat en Israël ; une coordination des activités de ses deux ports voisins sera nécessaire pour trouver des complémentarités. Dans ce Proche-Orient sous tensions, la Présidence américaine devrait encourager les projets régionaux qui favorisent la coopération régionale et les investissements : le projet de nouveau port de Taba pourrait être un premier pas vers une coopération entre les Etats de la mer Rouge.
Le développement du port de Taba passe par la continuation des mesures de sécurité dans la région du Sinaï. La péninsule reste marquée par plusieurs attaques terroristes perpétrées par des groupes islamistes de 2011 à 2023 qui empêchaient alors le développement de la région. Si en janvier 2023, le Président Al-Sissi a déclaré la fin du terrorisme dans le gouvernorat du Nord Sinaï, les tensions au Moyen-Orient, et notamment le conflit israélo-palestinien pourrait raviver les risques sécuritaires au Sinaï et éloigner les investisseurs. Mais, les autorités égyptiennes veuillent, avec succès, sur la sécurité du Sinaï.
Enfin, la crise israélo-palestinienne a rendu la route maritime en mer Rouge moins sûres avec des attaques menées par les rebelles Houthis du Yémen sur des navires commerciaux étrangers. Bien que les Houthis ont vu leur capacité de nuire diminuer grâce à des raids américains et israéliens, la récente escalade entre Israël et l’Iran pourrait augmenter les menaces en mer Rouge. Pour le Président Al-Sissi il est crucial que la région retrouve un certain calme afin de poursuivre son plan de développement du port de Taba et de l’ensemble de la péninsule du Sinaï, un hub majeur entre le Moyen-Orient et l’Europe.
Auteur: Sébastien Goulard est le fondateur et rédacteur de Global Connectivities.