par Sébastien GOULARD
Fin février 2025, les députés vietnamiens ont approuvé la construction d’une nouvelle ligne ferroviaire entre le port de Hai Phong et la ville de Lao Cai à la frontière chinoise. Cette nouvelle ligne permettra de mieux connecter l’économie des régions septentrionales du Vietnam à la Chine et même jusqu’à l’Europe en utilisant les lignes ferroviaires trans-Eurasie. Ce projet confirme la transformation du Vietnam et marque un tournant dans les relations sino-vietnamiennes,
Une nouvelle ligne des nouvelles routes de la Soie ?
Il s’agit d’un projet ambitieux de près de 390 kilomètres et dont le coût devrait atteindre 8,4 milliards de dollars. La ligne devrait être complétée en 2030. Pour financer ce projet, Hanoï compte emprunter auprès de la Chine. Mais ce financement ne devrait pas dépendre entièrement des banques chinoises. Le gouvernement vietnamien semble vouloir diversifier les sources de financements qui pourraient prendre la forme d’obligations d’Etat ou encore de prêts d’aide publique au développement.
Cette décision confirme néanmoins la participation du Vietnam dans le programme chinois de l’initiative « Belt and Road » inauguré en 2013. Le Vietnam était jusqu’à récemment réticent à rejoindre pleinement l’initiative chinoise, en raison d’une certaine crainte d’une mainmise de Beijing sur l’économie vietnamienne, mais aussi parce que le pays trouvait des financements auprès d’autres partenaires tels que le Japon ou la Corée du Sud.
La plus grande présence des intérêts chinois ces dernières années chez les voisins immédiats du Vietnam, à savoir le Cambodge et le Laos a sans doute poussé Hanoï à embrasser une nouvelle dynamique régionale plus proche de Beijing.
Le Vietnam, un ardent défenseur de l’intégration régionale en Asie du Sud, veut rejoindre les différents projets d’infrastructures ferroviaires dans l’ANSEA. La Chine participe déjà à la construction de nouvelles lignes au Laos, en Thaïlande, ou en Indonésie. Pour le Vietnam, il est stratégique pour Hanoï de rejoindre le mouvement.
La perception de l’initiative « Belt and Road » par le Vietnam a ainsi évolué. En octobre 2023, le Président vietnamien Vo Van Thuong participait au 3e Forum de la BRI, mais les projets labélisés BRI étaient limités, et contrairement à d’autre pays d’Asie du Sud-Est, le Vietnam n’accueillait aucun projet phare, mais plutôt de multiples projets d’ambition plus modeste. Le contexte mondial a sans doute aussi influencé la décision vietnamienne. Le Vietnam se retrouve en première ligne de la politique protectionniste américaine comme l’a montré la récente décision pris par le Président Trump d’imposer des droits de douanes de 46% sur les importations en provenance du Vietnam. Pour Hanoï il est donc stratégique de diversifier ses partenariats commerciaux, et cela passe notamment par une des échanges accrus avec la Chine et une meilleure intégration en Asie du Sud-Est. En étant plus actif au sein de l’initiative « Belt and Road », le Vietnam espère aussi augmenter la participation de ses entreprises dans les grands projets régionaux en Asie du Sud-Est.
Un réchauffement des relations sino-vietnamiennes
Ce projet de connectivité entre le Vietnam et la Chine traduit aussi une nouvelle ère de coopération entre les deux pays dans un contexte d’incertitude causée par la nouvelle politique commerciale américaine. Pour être moins dépendants des décisions prises à Washington, Beijing et Hanoï devraient renforcer leurs échanges, c’est le message porté par le Président Xi Jinping lors de sa prochaine visite en Asie du Sud-Est qui passera évidemment par le Vietnam ; la sécurité et le maintien des chaines d’approvisionnement devraient constituer le sujet majeur abordé lors de cette visite.
Soumises à des droits de douane sur leur production, des entreprises chinoises pourraient utiliser des sites industriels vietnamiens pour échapper aux surtaxes américaines.
Cependant le Vietnam, comme les autres Etats d’Asie du Sud-Est chercheront à poursuivre une politique d’équilibre entre les Etats-Unis et la Chine. Le Vietnam, puissance régionale majeure, présente de multiples ambitions qui passent par une forte autonomie stratégique.
Une modernisation des infrastructures vietnamiennes
La nouvelle ligne ferroviaire s’inscrit dans un processus encore plus ambitieux de modernisation de l’ensemble du réseau vietnamien. En novembre 2024, l’Assemblée nationale avait déjà approuvé une résolution visant à la construction d’une ligne à grande vitesse (160 km/h) reliant Hanoï à Hô-Chi- Minh-Ville, le centre économique du pays, à l’horizon 2035. La ligne actuelle est saturée et peut concurrentielle par rapport à l’avion, la nouvelle ligne deviendra la colonne vertébrale du pays. La modernisation du réseau ferroviaire vietnamien devrait être accompagnée par la construction de nouvelles infrastructures et notamment par la création de zones économiques spéciales le long des nouvelles lignes, c’est ce qui est déjà prévu pour la ligne reliant le port de Hai Phong à la province chinoise du Yunnan. Ces nouvelles infrastructures devraient faciliter l’arrivées des investisseurs étrangers et en particulier ceux venant de Chine.
Auteur: Sébastien Goulard est le fondateur et rédacteur de Global Connectivities.