par Sébastien GOULARD
La guerre qui s’est déroulée entre Israël et l’Iran a montré l’importance stratégique que revêtait le détroit d’Ormuz. Téhéran n’a pas osé fermer ce passage malgré le vote de son parlement le 22 juin 2025, après les frappes américaines sur le complexe nucléaire du pays. L’annonce d’un cessez-le-feu entre Israël et l’Iran par Donald Trump a été respectée, et Téhéran ne menace plus ouvertement les voies maritimes passant par le détroit d’Ormuz. Le blocage de ce détroit causerait une crise mondiale que toutes les parties veulent empêcher.
Un détroit stratégique
Près de vingt pour cent du trafic mondial de pétrole passe par le détroit d’Ormuz ce qui en fait un point aussi stratégique que le canal de Paname, celui de Suez ou encore le détroit de Malacca. Pour des Etats comme les monarchies de la péninsule arabique l’accès libre au détroit d’Ormuz est même vital, puisque la majorité de leurs exportations d’hydrocarbures passe par le détroit, et il n’y a pas d’autres routes possibles à l’exception de pipelines ou gazoducs.
Dans sa partie la plus étroite, sa largeur est inférieure à quarante kilomètres, et sa profondeur n’est que de soixante mètres, ce qui en fait un passage fortement exposé aux menaces. Le contrôle du détroit est dans les mains de trois pays qui sont : les Emirats Arabes Unis, l’Oman et l’Iran. Mais, c’est dans la partie contrôlée par l’Oman, aux eaux plus profondes, que s’effectue majoritairement le trafic maritime.
Une menace récurrente
Ce n’est pas la première fois que l’Iran menace de fermer le détroit d’Ormuz au trafic maritime.
Durant la guerre Iran-Irak, la libre circulation par le détroit d’Ormuz avait été déjà été menacée par les belligérants dans ce qui avait été décrit de « guerre des tankers ». Les deux pays menaient des attaques ciblées contre des navires, y compris des navires extérieurs au conflit qui transportaient du pétrole iranien ou irakien. Pour mettre fin à ces attaques, les Etats-Unis avaient accru leur présence dans le golfe persique et avaient répondu positivement à la demande du Koweït de protéger ses tankers transportant du pétrole irakien, cela n’avait pas empêché les forces irakiennes d’attaquer la frégate USS Stark, par erreur.
Cependant le détroit d’Ormuz n’a jamais été fermé à la circulation par les forces iraniennes, même si Téhéran a régulièrement menacé de le faire. Ainsi, en 2008, lors de la crise navale qui l’opposait à Washington, Téhéran avait déjà formulé cette menace, et l’avait réitéré en 2011 lors du renforcement des sanctions prises par la communauté internationale à son encontre en réponse à son programme nucléaire.
Un blocus serait relativement aisé à conduire, avec des mines dans la partie la plus étroite ; cela montre aussi la fragilité des routes maritimes du commerce international. En mer Rouge, les cargos sont déjà la cible des attaques menées par les rebelles Houthis sur les porte-conteneurs internationaux. Cette interruption des flux de marchandise est effectuée à moindre coût avec des drones ou des roquettes qui laissent les navires de marchandises relativement démunis. Si par le passé, la piraterie a été une menace importante dans le commerce maritime, ce sont aujourd’hui des Etats ou proto-Etats qui s’en prennent directement à la liberté de naviguer.
Les conséquences d’un possible blocus
Le pétrole produit au Moyen-Orient irrigue toute l’économie mondiale. Un blocus toucherait les plus grandes puissances industrielles, et en premier lieu les économies asiatiques. Ainsi, près de 84% du pétrole qui passe par le détroit d’Ormuz est destiné à la Chine, l’Inde, le Japon et la Corée du sud. Si la Chine importe près de 90% des exportations iraniennes de pétrole brut, elle achète aussi une grande partie de son pétrole (1,6 millions de barils par jour) à l’Arabie saoudite ; un blocus du détroit d’Ormuz serait catastrophique pour son économie. De même, l’Inde importe une partie de son pétrole du Moyen-Orient, même si les montants ont diminué au profit du pétrole provenant de Russie.
L’Europe est moins exposée à un éventuel blocus du détroit d’Ormuz. Ses approvisionnements sont plus variés, et sa première source de pétrole reste les Etats-Unis, la Norvège et le Kazakhstan. Mais tout blocus entrainerait une augmentation du prix du pétrole qui aurait des conséquences sociales et politiques lourdes.
L’un des gagnants d’un possible blocus du détroit d’Ormuz pourrait être la Russie en raison de la dépendance des économies asiatiques, et notamment la Chine au pétrole du Moyen-Orient. Celles-ci devraient alors chercher d’autres sources d’approvisionnement hors du Golfe persique. De même, les Etats-Unis pourraient renforcer leur position de fournisseur d’énergie auprès de l’Europe et du reste du monde en cas d’un blocus du détroit d’Ormuz, un point que le Président américain a partagé sur son réseau social « Thruth ». Cependant, un blocus du détroit d’Ormuz serait une mauvaise nouvelle pour l’économie mondiale, avec une énergie plus chère qui fragiliserait les perspectives de croissance.
L’Iran elle-même serait gravement impactée par ce blocus. L’économie du pays est très dépendante de ses exportations de produits pétroliers (qui représente plus de 50% de ses exportations). Le régime de Mollahs s’enfoncerait alors dans une crise économique et politique majeure, qui menacerait sa survie. D’autre part, une telle décision détériorerait gravement se relations avec ses partenaires commerciaux les plus proches, en premier lieu la Chine. Beijing a augmenté ses investissements au Moyen-Orient durant les dernières années, et affirmé ses ambitions de médiateur régional, notamment entre l’Arabie Saoudite et l’Iran en 2023. La crise actuelle et les risques de blocus du détroit d’Ormuz fragilisent cette position.
Une coopération nécessaire
Malgré des intérêts économiques partagés, les relations entre les pays riverains du Golfe persique restent tendues, notamment entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. Il n’existe pas aujourd’hui de mécanisme de coopération qui réunit tous les Etats riverains du Golfe persique. Un multilatéralisme robuste existe à travers le Conseil de Coopération du Golfe qui regroupe l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, le Qatar, Bahreïn, le Koweït et Oman. Si ce format a connu des crises, notamment la crise diplomatique qui a opposé le Qatar aux autres membres autour de l’Arabie Saoudite de 2017 à 2021, il n’en reste pas moins un outil nécessaire et efficace à la coopération dans la région. Demain, les autres puissances régionales, telles que l’Irak et l’Iran, malgré leurs différents, devront aussi réfléchir à une coopération plus forte autour des Etats du Golfe persique. Aucun chantage ne doit être permis : la libre circulation ne peut être remise en cause dans le Golfe persique et le détroit d’Ormuz doit pouvoir être franchi par les bateaux de tous les pays. A l’avenir, le développement de nouveaux corridors économiques tels que l’IMEC (India-Middle-East Europe Corridor) ne pourra être assuré sans une sécurité absolue dans le Golfe persique.
Auteur: Sébastien Goulard est le fondateur et rédacteur de Global Connectivities.