par Muhammad Asif NOOR
La récente imposition de droits de douane par le président américain Donald Trump a provoqué une onde de choc dans le commerce mondial, plaçant la France dans une position délicate. En tant qu’acteur clef de l’Union européenne, la France fait face à une taxe de 20 % sur ses exportations vers les États-Unis, assortie de menaces ciblées allant jusqu’à 200 % sur ses vins et spiritueux emblématiques. Cette politique commerciale, ancrée dans l’agenda « America First » de Trump, vise à réduire le déficit commercial des États-Unis. Pour la France, qui exporte chaque année pour 47 milliards d’euros vers les États-Unis, les enjeux sont considérables. Les secteurs de l’aéronautique, de la pharmacie et des spiritueux, qui représentent plus d’un tiers de ses exportations, sont particulièrement vulnérables. Pourtant, la réponse du président Emmanuel Macron, réputé pour son pragmatisme, révèle une volonté calculée de naviguer dans cette tempête à travers un engagement stratégique, une anticipation économique et une promotion de l’unité européenne. Le défi consiste à équilibrer riposte et négociation, à protéger les secteurs clés, tout en saisissant les opportunités inattendues dans un marché mondial fragmenté.
L’économie française, déjà sous pression avec une dette publique en forte hausse et une recrudescence des faillites d’entreprises, subit des tensions immédiates. Les États-Unis constituent le quatrième client de la France, absorbant 8 % de ses exportations. Une taxe de 20 % pourrait retrancher 0,4 % du PIB français, un impact comparable aux pertes estimées pour la Pologne. Le secteur des boissons, en particulier, redoute une véritable dévastation. En 2023, la France a exporté pour 3,9 milliards d’euros de vins et spiritueux vers les États-Unis. Une taxe de 200 %, comme évoquée en mars 2025, stopperait net ces exportations, paralysant une industrie qui emploie plusieurs centaines de milliers de personnes. Gabriel Picard, président de l’association des exportateurs de vins français, a averti d’un « coup de massue » pour le secteur. L’aéronautique et la pharmacie, avec des contributions respectives de 7,9 milliards et 4,1 milliards d’euros, font face à des perturbations des chaînes d’approvisionnement et à une hausse des coûts. L’économiste français Christophe Blot souligne que ces industries, déjà mises à mal par la concurrence mondiale, pourraient être contraintes de délocaliser leur production, une décision coûteuse et perturbatrice.
La réponse de Macron se veut à la fois ferme et pragmatique. Le 3 avril 2025, le Président a réuni les chefs d’entreprise au palais de l’Élysée, condamnant les droits de douane de Trump comme « brutaux et infondés ». Il a appelé à la suspension des investissements français aux États-Unis tant qu’aucune clarification n’aura été apportée — un signal fort de levier économique. Macron a qualifié la suspension temporaire de 90 jours des taxes de « fragile », soulignant le maintien de droits de douane de 25 % sur l’acier et les automobiles.
Dans cette redéfinition stratégique, la Chine joue un rôle clef. Alors que le commerce entre les États-Unis et la Chine s’est effondré de 81 % sous l’effet des droits américains à 145 %, la France y voit une opportunité de renforcer ses liens avec Pékin. La guerre commerciale entre les deux plus grandes économies du monde ouvre des débouchés pour les produits français sur les marchés asiatiques. En 2024, la France a exporté pour 22 milliards d’euros vers la Chine, et Macron ambitionne de doubler ce chiffre d’ici 2030. Lors de la Conférence de sécurité de Munich en février 2025, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a exprimé son ouverture à un rapprochement avec l’Union européenne — une perspective que la France explore activement.
Les implications de cette guerre commerciale menée par les États-Unis sont profondes. J.P. Morgan prévoit une récession mondiale en 2025, provoquée par une baisse de 1,5 % du commerce mondial, ce qui menacerait l’économie française, très dépendante de ses exportations. Une riposte de l’Union européenne par des droits de douane sur les hydrocarbures américains — première importation française avec 12,2 milliards d’euros — pourrait faire grimper les coûts énergétiques et peser sur les ménages. La fragilité politique intérieure de la coalition de Macron complique la mise en œuvre de réformes audacieuses. Pourtant, des opportunités émergent. L’OMC prévoit une croissance de 4 à 9 % des exportations chinoises vers les marchés hors États-Unis, offrant à la France une occasion de capter cette demande. En investissant en Asie, la France pourrait devancer des concurrents comme l’Italie, qui ne dispose pas d’une stratégie cohérente.
L’avenir de la France repose sur sa capacité d’adaptation. En s’appuyant sur la solidarité européenne, Macron peut renforcer la voix de la France. Une aide ciblée aux secteurs vulnérables, à l’image du modèle espagnol, pourrait amortir les pertes sans creuser la dette. L’investissement dans les marchés asiatiques, bien que coûteux, positionnerait la France en tête de la course face à ses rivaux. Le répit de 90 jours constitue un moment crucial pour affiner cette stratégie.
Auteur: Muhammad Asif Noor est le fondateur du Forum des Amis de la BRI, conseiller principal au Centre de Recherche du Pakistan à l’Université Normale du Hebei en Chine, co-fondateur de l’Alliance des Centres de Recherche Chine-Pakistan et chercheur principal au Centre d’Études CPEC à l’Université de Kashi en Chine.
Cet article reflète les opinions personnelles de l’auteur et non nécessairement celles de Global Connectivities.