par Sébastien GOULARD
Le corridor de Tehuantepec
Alors que le Président américain a réitéré son intention de récupérer le Canal de Panama, le Mexique a inauguré son propre corridor entre les océans Atlantique et Pacifique.
Contrôler les détroits et canaux maritimes, c’est maitriser le commerce mondial. Aujourd’hui, près de 90% des échanges mondiaux sont effectués grâce aux routes maritimes. Bien qu’il existe des alternatives continentales telles que les nouvelles lignes ferroviaires des routes de la Soie, les routes maritimes restent essentielles dans les lignes d’approvisionnement mondiales, et lorsque des tensions surviennent, comme en Mer rouge, c’est toute l’économie mondiale qui est impactée.
Le Canal de Suez, le détroit de Malacca ou le Canal de Panama sont des points stratégiques du commerce mondial. C’est pour mieux contrôler leurs approvisionnements que les Etats-Unis espèrent reprendre le Canal de Panama, et c’est pour la même raison que Beijing est réticent à la vente du port du Canal de Panama par une entreprise hongkongaise CK Hutchison Holdings à un groupe étranger.
C’est dans ce contexte de tension, que le Mexique a inauguré début avril une alternative au Canal de Panama avec son Corridor Interocéanique de l’isthme de Tehuantepec (CIIT). Ce corridor relie le port de Salina Cruz sur la côte pacifique au port de Coatzacoalcos sur la côte du Golfe du Mexique. Il ne s’agir pas proprement dit d’un canal, mais d’un corridor intermodal maritime et ferroviaire. Début avril, ce sont 900 voitures de la marque Hyundai qui ont ainsi traversé l’isthme du Tehuantepec pour rejoindre le marché américain, après avoir été débarquées au port de Salina Cruz, puis transportées par rail sur plus de 300 kilomètres, jusqu’au port de Coatzacoalcos.
Avec ce nouveau corridor, le Mexique ne fait que ressusciter la ligne interocéanique imaginée par le Président Porfirio Diaz au début du siècle avant de disparaitre avec le l’essor du Canal de Panama.
L’opération menée début avril n’était qu’un test, il s’agit aujourd’hui pour le Mexique de définir un modèle économique viable qui permettra d’assurer la pérennité de ce corridor. Les capacités du corridor sont aujourd’hui limitées et il ne pourrait pas répondre à une forte demande. Si l’expérience était poursuivie, elle pourrait rendre plus attractive la région de l’isthme de Tehuantepec pour les investisseurs. Devrait alors aussi être appliquées de nouvelles politiques d’aménagement et de formation pour associer les populations locales à ce développement : le CIIT traverse l’état d’Oxana, l’un des états les moins riches du pays. Plusieurs sites industriels devraient être construits le long de ce corridor, ce qui devrait booster l’économie de la région.
Les autres projets
Le CIIT n’a pas pour ambition de remplacer le Canal de Panama qui reste une voie stratégique entre les océans Pacifique et Atlantique, mais plutôt de le compléter. En raison de sa haute fréquentation le Canal de Panama fait face à des problèmes de congestion, ce qui allonge les délais de passage. Le CIIT permettra ainsi de réduire le temps de traversée.
Cependant, le succès du CIIT dépendra largement de la bonne santé du commerce mondiale, ainsi que de la politique commerciale américaine. Le nouveau corridor mexicain a pour ambition de capter une partie des flux de marchandises en provenance d’Asie vers la côte Est des Etats-Unis. Si le Président Trump poursuit sa politique tarifaire contre les économies asiatiques, le CIIT souffrirait d’une baisse d’activité majeure.
Il existe d’autres projets en Amérique centrale visant à créer des alternatives au Canal de Panama. On peut citer un projet de canal « sec » traversant le Honduras et El Salvador, un autre au Guatemala ou encore un projet de canal au Nicaragua. Ce dernier avait déjà été imaginé dès le 19e siècle, mais c’est au début des années 2000 que le gouvernent nicaraguayen l’a relancé. Pour cela, il s’était rapproché d’entreprises chinoises, mais face à la lourdeur des travaux et à la réticence de la population locale, qui aurait dû être expropriée, le projet avait été abandonné en 2018. Cependant en novembre 2024, le Nicaragua annonçait réfléchir à nouveau à la construction d’un canal entre le Pacifique et l’Atlantique.
Pour rendre ces projets viables, une plus grande coordination régionale sera nécessaire afin de prioriser les projets. Ils devront aussi bénéficier de l’appui des Etats-Unis, car les marchés d’Amérique centrale ne sont pas suffisants pour rendre ces projets viables. A l’été 2024, une délégation mexicaine s’était rendue à Washington pour présenter le projet de CIIT avec les autorités américaines. Il faudra aujourd’hui compter avec l’administration Trump.
Auteur: Sébastien Goulard est le fondateur et rédacteur de Global Connectivities.