La logique de la Chine en faveur d’une Europe forte

Les relations de la Chine avec l’UE évolue dans le contexte de la multipolarité mondiale et de l’autonomie stratégique.

par WANG Li

En janvier, le dirigeant chinois Xi Jinping s’est entretenu avec le président du Conseil européen, António Costa. Il a réaffirmé que la Chine considérait depuis toujours l’Europe comme un pôle essentiel dans un monde multipolaire et soutenait fermement la quête d’autonomie stratégique de l’Union européenne. Le 7 mars, le plus haut diplomate chinois, Wang Yi, a souligné que les relations diplomatiques entre la Chine et l’UE constituaient un atout inestimable, fondé sur le respect mutuel, les bénéfices réciproques ainsi que sur un consensus en faveur du multilatéralisme et de la coopération.

Dans un contexte mondial marqué par l’incertitude, notamment après l’entrée en fonction de Donald Trump, une question se pose : comment la Chine et l’UE peuvent-elles percevoir les intérêts fondamentaux de chacun à travers le prisme de « l’empathie géopolitique » ? Cet article se propose d’examiner leurs approches respectives et compatibles de la multipolarité, en conformité avec les principes de la Charte des Nations unies et du droit international. Pour ce faire, il est impératif que les deux parties saisissent leurs intérêts fondamentaux et leurs préoccupations sécuritaires communes sur le long terme.

En 1975, la Chine et l’UE (alors la Communauté Economique Européenne, CEE) ont entamé une normalisation de leurs relations, marquant le début d’une nouvelle ère de contacts formels entre les deux extrémités de l’Eurasie. D’un point de vue géopolitique, cette région est souvent qualifiée de « cœur stratégique » du monde. Il est avancé que la distance spatiale entre la Chine et l’UE pourrait s’avérer un facteur favorable à la libre expansion de ces deux grandes économies dans le monde de demain. De plus, elles ont tendance à se percevoir mutuellement comme des défenseurs d’un ordre mondial multipolaire plutôt que bipolaire. L’UE a longtemps vu la Chine comme un immense marché en pleine expansion et, entre la fin des années 1970 et 2016, n’a pratiquement imposé aucune restriction aux exportations de technologies à double usage vers la Chine. Cependant, la première administration Trump a, en 2016, reconnu l’échec de la politique d’engagement avec Beijing. Malgré l’ambition de l’UE d’accroître son « autonomie stratégique », un rapport stratégique publié en 2020 par la communauté transatlantique a estimé que l’ascension de la Chine et son rapprochement croissant avec la Russie contribuaient à un rééquilibrage mondial favorisant les intérêts sino-russes en Eurasie.

Un tournant décisif s’est produit le 24 février 2022 avec le déclenchement de la guerre par la Russie contre l’Ukraine, un État souverain reconnu par la communauté internationale, y compris par la Chine. L’OTAN et l’UE ont immédiatement qualifié la Russie de menace majeure pour l’Europe, tandis que la Chine a adopté une « position de principe » en appelant à un cessez-le-feu et à des négociations de paix entre les parties en conflit. Depuis, la Chine a affirmé son soutien à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de tous les États, conformément aux principes de la Charte des Nations unies. Dans le même temps, elle insiste sur l’Accord d’Helsinki, également connu sous le nom d’« Acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe », qui repose sur un consensus garantissant « l’indivisibilité de la sécurité en Europe et l’intérêt commun au développement de la coopération à l’échelle européenne ». En outre, la Chine reprend à son compte la doctrine d’Hans Morgenthau, selon laquelle il est fatal pour un État ou un groupe d’États d’ignorer les préoccupations sécuritaires légitimes des autres parties impliquées. C’est pourquoi Beijing plaide pour la reconstruction d’un régime de sécurité efficace et inclusif en Europe.

Pour des raisons évidentes, l’UE perçoit la position de neutralité affichée par la Chine comme une façade, dans un contexte où la crise ukrainienne s’est transformée en guerre à grande échelle. Cette situation a accentué le processus de polarisation du monde entre l’entente sino-russe et l’alliance dirigée par les États-Unis. Le dilemme est que la posture de neutralité de la Chine a considérablement impacté ses relations déjà tendues avec les États-Unis et l’UE, ses principaux partenaires commerciaux. Par ailleurs, elle risque de perdre l’Ukraine comme partenaire commercial majeur et comme acteur fiable de l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie en Europe. C’est dans ce contexte que, depuis mars 2022, le président Xi a multiplié les appels téléphoniques aux dirigeants américains et européens pour exprimer la profonde inquiétude de la Chine face à la guerre en cours. Pour Beijing, Washington s’emploie à bâtir un système d’alliances dans l’Indopacifique afin de contenir l’essor économique, technologique et géopolitique de la Chine. L’urgence pour Beijing est donc de maintenir son partenariat stratégique avec Moscou tout en préservant ses principales sources d’approvisionnement économique et de technologique en Occident, notamment en Europe.

Il est évident que la Chine et l’UE poursuivent des objectifs stratégiques divergents quant à l’issue de cette guerre. Tandis que les États-Unis et leurs alliés considèrent désormais la Chine comme un rival systémique sur le plan stratégique, Beijing juge indispensable de renforcer son entente avec Moscou, qui lui assure un approvisionnement énergétique stable et l’accès à des technologies militaires avancées dans le domaine des missiles stratégiques notamment. De son côté, l’UE, voyant en la Russie la menace la plus immédiate pour l’Europe, estime nécessaire de préserver le lien transatlantique sous le principe du « ensemble, nous sommes plus forts ».

Dans le même temps, la Chine reconnaît l’importance de maintenir une relation dynamique et pragmatique avec l’UE. D’abord, elle plaide pour une Europe forte et prospère qui puisse jouer un rôle majeur dans un monde multipolaire. Ensuite, elle juge plus pertinent de collaborer avec l’UE pour relever des défis mondiaux tels que le changement climatique, le terrorisme et d’autres problématiques, et ainsi contribuer positivement à la paix, à la stabilité et au développement mondiaux. Enfin, certains analystes chinois estiment que l’essor de la Chine a poussé les Européens à réfléchir aux valeurs, normes et principes qui sous-tendent leur conception de « l’autonomie stratégique ». Dans cette perspective, ils soutiennent que la Chine et l’UE disposent des capacités et de la sagesse nécessaires pour inaugurer ensemble une nouvelle ère multipolaire.

Author: Wang Li est professeur de relations internationales et de droit à l’École de droit de l’Université de Changzhou, en Chine. Il a obtenu une licence en histoire internationale, une maîtrise en affaires internationales et diplomatie, ainsi qu’un doctorat en relations internationales et droit, respectivement en Chine, aux États-Unis et au Royaume-Uni, avec un focus sur la politique étrangère des grandes puissances.

Email:  wanglichangzhou@cczu.edu.cn

Cet article reflète les opinions personnelles de l’auteur et non nécessairement celles de Global Connectivities.

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