Le nouveau partenariat italien pour l’Afrique

Giorgia Meloni, la Présidente du conseil italien a promis 5,5 milliards d'euros pour le développement de l’Afrique.

par Sébastien GOULARD

Le 29 janvier 2024, Giorgia Meloni, a annoncé lors d’une réunion avec des représentants de 25 États africains, dont plusieurs chefs d’État, à Rome, un plan d’investissement de 5,5 milliards d’euros pour l’Afrique.

Ce nouveau partenariat marque un nouveau départ par rapport aux initiatives précédentes. Comme l’a déclaré Meloni, ce plan témoigne d’une coopération, « loin de toute imposition prédatrice ou de toute position charitable ». Cette stratégie reposera sur cinq piliers : l’éducation, l’agriculture, la santé, l’eau et l’énergie.

Des projets pilotes

Dans un premier temps, ce partenariat prendra la forme de projets pilotes qui pourraient être reproduits  par la suite dans d’autres régions, à une plus grande échelle. Au Maroc, Rome devrait financer un centre de formation pour les énergies renouvelables, en Tunisie, -un partenaire clé pour l’Italie-, l’accent sera mis sur l’éducation, tandis qu’en Côte d’Ivoire, la santé de la mère et de l’enfant recevra une attention particulière. Des projets agricoles devraient être lancés en Algérie et en Égypte, ainsi qu’un projet de développement de biocarburants au Kenya. Rome vise à multiplier les initiatives pour affirmer son expertise auprès de ses partenaires africains.

Les entreprises italiennes dans ce partenariat pour l’Afrique

L’Italie multiplie les actions dans différents secteurs et destinations, en s’appuyant sur les grandes entreprises du pays. Ce n’est pas un hasard si ce nouveau partenariat italien pour l’Afrique est nommé le « Plan Mattei », du nom du fondateur du géant italien de l’énergie ENI, Ennio Mattei (1906-1962). Meloni souhaite faire participer les grandes entreprises italiennes dans ce nouveau partenariat africain, leur permettant de mieux se développer sur des marchés émergents qui devraient connaître une croissance significative dans les années à venir. Des entreprises telles que ENI, ENEL, Fincantieri, Leonardo et Terna pourraient participer à cette initiative. Ces entreprises ont besoin du soutien politique de Rome pour prospérer sur les marchés africains où elles font face à la concurrence de pays politiquement plus actifs comme la Chine et la Turquie.

Priorité à l’énergie

Bien que le plan italien pour l’Afrique soit multifacette, l’énergie y joue un rôle significatif. Rome aspire à devenir la principale porte d’entrée pour l’énergie entre l’Afrique et l’Europe. Cette stratégie inclue la construction d’un nouveau pipeline à hydrogène reliant les deux rives de la Méditerranée. Les entreprises italiennes pourraient également investir dans un nouveau pipeline entre le Nigeria et l’Algérie. En décembre 2023, ENI a annoncé un investissement de plus de 9 milliards d’euros dans un champ offshore en Côte d’Ivoire. Ces investissements concernent à la fois les combustibles fossiles et les énergies renouvelables. La politique de Meloni est en partie motivée par le désir de réduire la dépendance énergétique de l’Europe vis-à-vis de la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine, en utilisant les ressources en hydrocarbures de l’Afrique et son potentiel dans les énergies renouvelables, y compris l’énergie solaire.

L’annonce de la Présidente conseil italien revêt une forte dimension environnementale. Trois milliards d’euros du plan Italie-Afrique proviendront du nouveau fonds italien pour le climat créé en 2021, et les 2,5 milliards d’euros restants seront financés par diverses sources de coopération au développement.

De l’immigration à l’affirmation du soft power italien

En promouvant des investissements en Afrique, le gouvernement italien vise à créer une nouvelle dynamique pour réduire l’immigration illégale en provenance du continent africain. L’Italie est confrontée à une crise migratoire, étant le principal point d’entrée des migrants africains en Europe. En 2023, près de 158 000 migrants sont arrivés sur les côtes italiennes via la Méditerranée. Bien que Meloni ait été élue en 2022 sur des positions anti-immigration, elle n’a jusqu’à présent pas réussi à démontrer l’efficacité de sa politique sur ce sujet. L’un des objectifs du nouveau plan annoncé est d’offrir de nouvelles opportunités de développement aux pays africains, leur permettant de retenir une partie de leur jeunesse en leur offrant de nouvelles perspectives.

Depuis le 1er janvier, Rome assume la présidence du G7, et le prochain sommet se tiendra dans la région des Pouilles du 13 au 15 juin 2024. Parmi les différents enjeux que les pays du G7 doivent aborder, l’Italie a identifié l’intelligence artificielle et l’Afrique comme priorités. La stratégie dévoilée lors du sommet Italie-Afrique s’aligne sur les nouvelles ambitions de Rome, plus pragmatiques que par le passé. Meloni cherche à attirer les États africains qui ont pu être déçus par le passé par les puissances occidentales et qui développent de nouveaux partenariats avec la Russie et la Chine. L’Italie a choisi de passer outre le durcissement de certains régimes africains ; des dirigeants critiqués pour leur autoritarisme, tels qu’Isaias Afwerki, le président de l’Érythrée, et Kais Saied, le président de la Tunisie, étaient tous deux présents à Rome. La Tunisie, proche voisine de l’Italie, devrait pourtant devenir un partenaire clé de la stratégie africaine de l’Italie.

La priorité est maintenant mise sur le fait de ne pas décevoir les partenaires africains et de mettre en œuvre rapidement les projets discutés pour créer une dynamique. Les fonds annoncés doivent être rapidement investis. Le gouvernement italien doit aussi mieux coordonner ses actions avec les Etats africains. Azali Assoumani, l’actuel président des Comores et président de l’Union africaine, a exprimé son regret de ne pas avoir été consulté par Rome sur ce partenariat.

Rome renforce ainsi sa présence sur le continent africain. Une nouvelle ambassade devrait être inaugurée à Nouakchott, la capitale de la Mauritanie, et trois bureaux de l’Agence italienne du commerce (ICE) devraient ouvrir à Dakar (Sénégal), Nairobi (Kenya) et Lagos (Nigeria). Ces décisions font suite à la visite de Meloni dans la Corne de l’Afrique en avril 2023 et à sa rencontre avec le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed et le président somalien Hassan Sheikh, ainsi qu’à la visite du président Mattarella au Kenya en mars 2023.

Le plan italien et la stratégie de l’Union européenne

Le plan italien doit être étudié dans le contexte plus large de la stratégie de l’UE pour l’Afrique. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré que le plan italien était complémentaire au partenariat européen.

Dans le cadre du programme européen « Global Gateway », l’UE prévoit d’investir près de 150 milliards d’euros en Afrique entre 2021 et 2027, ce qui représente près de la moitié du total des fonds du programme « Global Gateway ». L’Afrique est une priorité dans les politiques de coopération et de développement de l’UE ; l’Italie a adopté cette priorité et développe sa propre approche. En cas de succès, Rome pourrait devenir le partenaire indispensable dans la politique énergétique de l’Europe et de l’Afrique.

Auteur: Sébastien Goulard est le fondateur et rédacteur de Global Connectivities.

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