Le nouveau partenariat économique entre l’Union Européenne et l’Indonésie : quelles perspectives ?

Le nouvel Accord de Partenariat Économique Global entre l’UE et l’Indonésie vise à renforcer les échanges commerciaux stratégiques.

par Sébastien GOULARD

Fin septembre 2023, l’Indonésie et l’Union Européenne ont conclu un accord commercial majeur qui permettra d’intensifier les échanges entre les deux régions.

Réunis à Bali, Maros Sefcovic, commissaire européen au commerce et Airlangga Hartarto, ministre du commerce indonésien ont signé le 23 septembre un accord de partenariat économique global négocié de longue date.

En effet, ces négociations avaient débuté en 2016, mais avaient buté sur plusieurs dossiers notamment celui de la déforestation et de l’exploitation de l’huile de palme. Mais la politique protectionniste menée par les Etats-Unis a bouleversé les rapports de force et a, à somme toute, accéléré le processus de négociation entre l’Union Européenne et l’Indonésie 

Le futur accord de libre-échange

Grâce à ce nouvel accord, les droits de douanes entre les deux régions devraient réduire de 98,5%. Cela permettra aux entreprises européennes, notamment dans les secteurs de la chimie, des machines-outils ou encore du secteur pharmaceutique d’avoir un accès plus aisé à un marché de 280 millions d’habitants qui connait une croissance économique annuelle de plus de 4,8%. Le secteur agricole serait lui aussi ouvert aux produits européens, à l’exception du sucre et du riz.

D’autre part, avec cet accord, plusieurs centaines de produits européens de l’agro-alimentaire aux appellations géographiques protégées tels que le roquefort seront reconnus en Indonésie ce qui devraient faciliter les exportations dans un pays où la classe moyenne est en expansion.

Pour l’Europe, cet accord permettra d’investir dans de nouveaux secteurs de l’économie indonésienne à savoir la finance, le secteur pharmaceutique, l‘électronique, mais aussi l’extraction. Cependant cet accord n’adresse pas directement le différend entre l’Union Européenne et l’Indonésie concernant l’interdiction de l’exportation de ses minerais (cuivre, nickel…) depuis 2023 pour développer ses industries, mais il permet de sécuriser les chaînes d’approvisionnement, et de réduire dans une certaine mesure la relative dépendance aux acteurs chinois.

L’Indonésie compte aussi sur ce nouvel accord pour soutenir son secteur du textile en crise depuis la pandémie du Covid et l’affaiblissement de la roupie indonésienne face au dollar. Cette crise s’est traduite par la faillite début 2025 du géant indonésien Sritex. Le nouvel accord avec l’Union Européenne devrait permettre d’une part de booster les exportations de textile vers l’Europe en devenant plus compétitif face aux produits chinois. L’objectif est aussi de monter en gamme en développant de nouvelles filières du textile qui répondent aux critères environnementaux européens.

Cependant comme les autres accords de libre-échange, l’accord entre l’Europe et l’Indonésie devra être ratifié par Djakarta, le parlement européen ainsi que par les 27 Etats de l’Union avant d’entrer en vigueur. Les questions environnementales liées notamment à la production d’huile de palme pourraient ressurgir portées par certains acteurs associatifs européens et mettre en danger le processus de ratification de cet accord.

Des négociations longues et chaotiques

Les négociations pour la conclusion de cet accord ont commencé en 2016. Mais la question de la déforestation et de la production d’huile de palme a pendant envenimé les relations entre les deux régions et retardé cet accord.

Depuis 2019, l’Union Européenne impose des droits compensatoires sur les biocarburants indonésiens, et n’a pas revu sa position malgré la décision de l’Organisation Mondiale du Commerce. La décision prise par la Commission Européenne de faire appel de la décision de l’OMC en octobre 2025 ne facilitera pas la ratification de l’accord commercial du côté indonésien.

Un autre sujet de tensions entre Bruxelles et Djakarta est le règlement de l’UE sur les produits sans déforestation. En 2023, l’Union Européenne adoptait une politique ambitieuse qui interdit la production mais aussi l’importation de produits qui contribueraient à la dégradation des forêts ou à la déforestation. L’Indonésie et la Malaisie, les deux plus grands exportateurs d’huile de palme vers l’Europe dénonçaient cette règlementation dont l’application pèserait lourd sur les petites et moyennes exploitations qui devraient prendre en charge

La décision prise par l’Union Européenne en septembre 2025 de reporter l’application de son règlement sur la déforestation et la dégradation des forêts d’un an pour les PME favorise le dialogue entre les parties européennes et indonésiennes. Cependant comme le remarque James Guild,  la volonté des Européens d’appliquer leurs standards à d’autres pays est de moins en moins bien reçue, et l’Indonésie est aujourd’hui une puissance émergente qui  a aussi la possibilité de vendre son huile de palme vers d’autres marchés en Asie ou en Afrique. Il ne faudrait pas que le futur accord commercial entre l’Europe et l’Indonésie bloque sur une disposition qui n’est peut-être plus d’actualité.

Union Européenne et Sud-Est Asiatique

L’Union Européenne multiplie les accords commerciaux avec les Etats d’Asie du Sud-Est. Si elle n’a pas réussi à négocier un accord global avec l’Association des Nations du Sud-Est Asiatique, principalement en raison des différences économiques majeures entre les pays qui composent cette organisation régionale, mais aussi à cause de la situation des droits de l’Homme au Myanmar. Le premier accord de libre-échange entre l’Union Européenne et un Etats de l’ANSEA a été signé en 2018 avec Singapour. En 2023, l’Union Européenne et Singapour renforçaient leur partenariat avec la signature d’un accord commercial numérique pour développer les échanges et les coopérations ans le secteur des semiconducteurs, la cybersécurité, les infrastructures numériques ou encore les services financiers.

En 2019, l’Union Européenne et le Vietnam signaient un accord de libre-échange qui éliminait près de 99% des droits de douane entre les deux régions. Cet accord était considéré à sa signature comme l’un des plus avancés sur le plan social avec la création d’un comité spécialisé sur le commerce et el développement durable.

L’Union Européenne est aussi en négociations à la fois avec les Philippines et la Malaisie pour des accords de libre-échange. Les négociations avec la Malaisie avaient commencé dès 2010, mais avaient du être interrompues à plusieurs reprises. Ce n’est que depuis janvier 2025, que les deux parties ont décidé de reprendre les négociations. De même, concernant le futur accord de libre-échange entre l’Union Européenne et les Philippines, on assiste à une accélération du processus avec la réouverture des négociations en mars 2024. Initiées en 2015, elles avaient été mises en pause en 2017 suite aux préoccupations de Bruxelles concernant le modèle de gouvernance du Président Duterte.

Enfin, l’Union Européenne et la Thaïlande ont noué en 2022 un accord de partenariat et de coopération, et ont annoncé en 2023 l’ouverture de négociations en vue d’obtenir un accord de libre-échange. Là encore, la situation politique avait empêché l’Union Européenne d’ouvrir des négociations avec la Thaïlande plus tôt, malgré les intérêts commerciaux qui lient les deux parties.

L’enjeu de la diversification

L’Indonésie, tout comme l’Union Européenne ont à cœur de diversifier leurs partenariats, ce qui passe par une intensification de leurs relations.

C’est en juillet 2025, lors de la visite du Président indonésien Prabowo Subianto à Bruxelles, que les deux parties ont annoncé un prochain accord. La Présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen avait alors souligné l’importance de ce partenariat dans «  un monde volatile »

L’Indonésie devrait signer d’ici la fin du mois d’octobre un accord commercial avec les Etats-Unis qui devrait confirmer l’application de droits de douane de 19% appliqués sur les produits indonésiens. Le ministre du commerce indonésien a bon espoir que les exportations indonésiennes qui ne peuvent être produites sur le sol américain, à savoir l’huile de palme et le caoutchouc devraient être exemptés de droits de douane. Même si cet accord avec les Etats-Unis était signé, pour l’Indonésie, il est nécessaire de créer de nouveaux échanges avec les Etat européens, dans tous les secteurs, y compris la défense, pour ne pas être pris entre les Etats-Unis et la Chine. 

Aujourd’hui, l’Indonésie n’est pas le partenaire commercial avec lequel l’Union Européenne échange le plus en Asie du Sud-Est. L’Indonésie est précédée de Singapour, de la Thaïlande, du Vietnam et de la Malaisie. Cependant c’est l’un des pays où les perspectives au niveau des investissements et du commerce sont les plus fortes pour les entreprises européennes de par son poids économique et démographiques au sein de l’ANSEA. Les Européens ont conscience du potentiel de l’Indonésie et des perspectives qu’elle offre pour diversifier leurs chaînes d’approvisionnement dans un contexte où les Etats-Unis et la, Chine se font plus protectionnistes. Il est à espérer qu’Européens et Indonésiens surmonteront leurs différents sur l’huile de palme pour approfondir leur partenariat.

Sébastien Goulard

Sebastien Goulard is the Editor-in-Chief of GlobalConnectivities. He publishes articles and analyses on major infrastructure projects around the world, as well as initiatives that promote international exchange and cooperation. He has conducted extensive research on China’s Belt and Road Initiative.

Sebastien Goulard is also the founder of Cooperans, a consultancy firm that supports stakeholders engaged in international projects. He holds a PhD in the socio-economics of development from the École des Hautes Études en Sciences Sociales (School of Advanced Studies in the Social Sciences).

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