par Sébastien GOULARD
Le Groenland revient régulièrement dans l’actualité depuis que le Président Trump a déclaré ne pas exclure d’annexer l’île en mai 2025.
Le principal argument des Etats-Unis est que le Danemark ne pourrait pas défendre seul ce territoire immense (2,16 millions de km²) en cas d’invasion, ce qui menacerait la sécurité des Etats-Unis dans l’hémisphère occidental. La présence importante de ressources minérales pourrait aussi motiver l’intérêt de Washington pour ce territoire danois de plus en plus autonome.
Une demande ancienne
Donald Trump n’est pas le premier Américain à avoir des vues sur le Groenland. Déjà, au XIXe siècle, Washington avait formulé cette demande auprès de Copenhague à plusieurs reprises. En 1917, les Etats-Unis faisaient l’acquisition après du Danemark des Indes occidentales danoises, qui deviendront alors les îles vierges des Etats-Unis ; mais la vente du Groenland leur a toujours été refusé par Copenhague.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que le Danemark est occupé par les forces allemandes, le Groenland accueille des troupes américaines à partir d’avril 1941. L’île présente un intérêt stratégique particulier dans la guerre sous-marine en Atlantique nord ; des stations météorologiques y sont opérées clandestinement par les Allemands pour guider leurs U-Boots. La fin de la seconde guerre mondiale ne signifie pas le retrait des troupes américaines. La guerre froide renforce encore l’aspect stratégique du Groenland, Washington redoutant que les forces soviétiques passent par le passage entre le Groenland et l’Islande pour se rapprocher des côtes américaines. En 1951, les Etats-Unis et le Danemark signent un accord permettant de poursuivre la présence militaire américaine au Groenland ; une base américaine est construite : la Pituffik Space Base toujours utilisée jusqu’à aujourd’hui. Par la suite, les Etats-Unis vont encourager le Danemark à accorder plus d’autonomie au territoire. Le Groenland est un territoire protégé par l’article 5 de l’OTAN.
Le Groenland face au changement climatique
Le changement climatique devrait malheureusement bouleverser l’environnement et la société groenlandais dans les prochaines années. Ses températures devraient monter et son climat devrait devenir plus humide. Les icebergs devraient fondre et certaines régions de l’île devraient être libérées des glaces toute l’année. Le réchauffement climatique devrait rendre ce territoire encore plus stratégique. Jusqu’alors peu d’infrastructures avaient été construites au Groenland, mais des nouveaux projets sont en discussion. Il existe actuellement peu de routes sur l’immense territoire, et les villes, ou villages sont connectés entre eux par avion. Mais les autorités groenlandaises s’interrogent sur la possibilité de construire une route importante de 170 km au sud-ouest de l’île pour relier l’aéroport de Kangerlussuaq à la ville côtière de Sisimiut, et permettre ainsi de développer le secteur agroalimentaire et les exportations des produits de la pêche.
Si les projets de mine de terres rares venaient à se concrétiser d’autres routes et infrastructures, notamment pour le transport du minerai devront aussi être envisagées.
S’agissant de son énergie, elle provient à plus de 75% de centrales hydroélectriques. Le Groenland pourrait construire de nouvelles centrales pour augmenter sa production d’énergie nécessaire à nouvelles activités économiques.
Le tourisme devrait aussi connaitre un essor certain au Groenland. En 2023, près de 140 000 visiteurs étrangers se sont rendus sur l’île, un record pour le Groenland. Il s’agit principalement d’un tourisme de croisière, qui est facilité par le réchauffement climatique. L’ouverture en octobre 2024 d’un nouvel aéroport qui peut recevoir des long-courriers à Nuuk devrait accentuer cette tendance ; deux autres aéroports internationaux sont en construction. Pour diversifier son économie, le Groenland compte développer le tourisme, mais désire privilégier un tourisme de qualité, et envisage de limiter le nombre de bateaux de croisières dans ses ports.
Les autorités groenlandaises ne veulent pas non plus que des étrangers fortunés bouleversent le secteur immobilier de l’île en investissant dans des résidences secondaires, c’est pourquoi a été adoptée en février 2025 une loi restrictive à l’encontre des étrangers voulant investir dans l’immobilier.
Le Groenland et la route polaire
En cas de poursuite du réchauffement climatique, la zone arctique, libérée des glaces une grande partie de l’année, deviendrait stratégique pour le commerce mondial, une partie des flux de marchandises entre les Etats-Unis et le reste du monde pourraient être déviée sur la route polaire arctique, et ainsi éviter les de nœuds stratégiques mais exposés tels que le Canal de Suez et le Canal de Panama. La Russie et la Chine mènent diverses tentatives pour développer une route commerciale polaire. En 2018, la Chine publiait son premier livre blanc pour une politique de l’Arctique, cinq ans après rejoint le Conseil de l’Arctique comme observateur. Beijing considère la route polaire comme une possible voie complémentaire pour son commerce avec l’Europe. Dans, une possible confrontation avec la Chine, Washington a tout intérêt à contrôler les voies de navigation passant au large du Groenland, et l’administration Trump pense que le Danemark, en charge de la sécurité de du territoire n’aurait pas les capacités à le protéger en cas de tensions avec la Chine ou la Russie.
Des ressources abondantes
Les sous-sols du Groenland renferment des ressources importantes et le réchauffement climatique les rend plus aisées à exploiter. Tout d’abord, concernant les énergies fossiles, le Groenland pourrait détenir l’équivalent de 31 milliards de barils de pétrole. Mais les partis politiques locaux ne souhaitent pas l’exploitation, ni même l’exploration de ces ressources. Depuis 2009, le territoire a obtenu de Copenhague le contrôle de l’ensemble de ses ressources ; en 2021 le gouvernement a interdit l’exploration offshore. Le Groenland pourrait potentiellement exporter son pétrole vers le marché européen, mais n’en affiche pas la volonté.
De même, le Groenland est riche en terres rares. Mais là encore, les habitants sont très vigilants à l’impact de l’exploitation de ces ressources sur leur territoire. En 2021, le gouvernement écologiste nouvellement élu, interdit les mines d’uranium, au grand dam de Greenland Minerals, filiale du groupe australien ETM qui le poursuit en justice et demande 11 milliards de dollars en compensation des investissements menés. L’extraction minière de terres rares est un processus qui peut créer des déchets radioactifs, et est par conséquent interdite au Groenland. L’extraction du plomb et du zinc dans la seconde moitié du 20e siècle a causé d’importants problèmes de pollution environnementale et de santé publique, documentés depuis les années 1970.
Un territoire en quête d’autonomie
Le processus vers l’indépendance du territoire, -depuis 1979 et l’adoption de la Home-rule, puis l’autonomie renforcée acquise 2009 et enfin la déclaration officielle du gouvernement groenlandais en 2023 faire de l’indépendance un objectif prochain-, est vu comme le meilleur moyen de contrôler les ressources du territoire dans l’intérêt de ses seuls habitants. Les Groenlandais, bien que peu nombreux, -moins de 60 000 habitants-, sont très attachés à leur identité qu’ils veulent protéger. Engagés sur la voie de l’indépendance, les déclarations américaines ont été mal accueillies par les Groenlandais qui ne veulent en aucun cas que leur territoire soit cédé aux Etats-Unis.
Des tensions entre alliées
Le Groenland, malgré sa forte autonomie, reste un territoire danois. Les déclarations du Président Trump et du Vice-Président ont été froidement accueillies par les Danois qui se considéraient jusqu’alors parmi les alliés les plus proches des Etats-Unis, ayant envoyé des troupes au combat en Irak et en Afghanistan. Pour le Danemark, les déclarations du Président américain sont difficilement compréhensibles. Près de la moitié des Danois considèrent aujourd’hui les Etats-Unis comme une menace. Face aux tensions avec la Russie, les déclarations américaines sont considérées inopportunes et parasites l’unité de l’alliance atlantique. Si Copenhague a décidé de faire l’acquisition de nouveaux avions de combat américain F35 en juillet, le pays envisage aussi de se tourner vers d’autres fournisseurs européens pour son matériel militaire, ce qui est une première pour le royaume.
Cet épisode montre tout l’intérêt que les grandes puissances ont pour le Groenland dans un contexte de réchauffement climatique et de chasse aux terres rares. Le Groenland, autonome puis probablement indépendant, devra poursuivre ses partenariats notamment avec l’Union Européenne et le Canada pour continuer à protéger ses intérêts.