par Sébastien GOULARD
Après des années de négociations et de tensions, un accord est en vue entre la France et la Nouvelle Calédonie qui pourrait prochainement gagner une reconnaissance internationale.
Un territoire sous tension
Le 12 juillet, l’Etat français et les différents partis politiques calédoniens ont signé un accord visant à organiser le futur du territoire. Parmi les évolutions de son statut institutionnel, est la possibilité pour la Nouvelle Calédonie de siéger dans les instances internationales.
La Nouvelle-Calédonie forme un archipel de près de 18500 m² dans l’océan Pacifique, à plus de 16000 km de Paris. Il s’agit d’un territoire français depuis 1853, mais n’est pas membre de l’Union Européenne, et partage avec la Polynésie Française le franc pacifique comme monnaie. Son statut est celui d’une collectivité sui generis qui jouit d’un fort degré d’autonomie et qui a un droit à l’autodétermination.
La Nouvelle Calédonie a connu de fortes tensions causées par les revendications indépendantistes d’une partie des Kanak, le peuple autochtone de l’archipel
Après la seconde guerre mondiale, la France mène une politique d’intégration sur l’archipel, la Nouvelle Calédonie n’est plus une colonie, et ces habitants reçoivent la nationalité française. L’exploitation du nickel va faire venir de nouveaux habitants de France et du pacifique, et les Kanak auront de nouvelles revendications, ce qui créera des troubles entre 1984 et 1988. En 1988, sont signés les accords de Matignon qui doivent rééquilibrer les pouvoirs entre les différentes communautés. En 1998, l’accord de Nouméa donne plus d’autonomie aux Calédoniens et prévoit la tenue de plusieurs référenda sur l’indépendance de l’archipel. Ainsi trois référenda sont tenus en 2018, 2020 et 2021. A chaque fois, le non à l’indépendance le remporte. Mais ce vote ne met pas fin aux tensions, au contraire, en 2024, suite à un projet de réforme électorale, la Nouvelle Calédonie s’embrase et des émeutes paralysent l’archipel.
L’accord de Bougival
Le nouvel accord signé par l’ensemble des partis devrait permettre une sortie de crise en Nouvelle Calédonie, il prévoit une évolution institutionnelle qui devrait satisfaire l’ensemble des communautés, avec notamment l’adoption d’une nouvelle loi fondamentale en 2026 qui précisera le rôle de chaque institution locale.
Sera créée une nationalité calédonienne qui se superposera à la nationalité française.
Sera aussi donnée la possibilité au Congrès de Nouvelle Calédonie de demander à la France de nouvelles compétences régaliennes telles que la défense, la monnaie et la sécurité, en plus de la compétence « relations internationales ».
La France et la Nouvelle Calédonie vont aussi travailler pour rendre le territoire plus attractif et combattre la « vie chère ».
Un plan stratégique sera aussi mis en place pour soutenir le développement d’une filière du nickel sur l’île
Avant d’être adopté, cet accord de Bougival devra être approuvé par référendum par la population calédonienne, et la France devra approuver un projet de loi constitutionnelle.
A terme, la Nouvelle Calédonie se dirigera vers une nouvelle relation, plus souple, avec la France, et qui pourrait déboucher vers une souveraineté plus complète.
Les défis de la Nouvelle Calédonie
La Nouvelle Calédonie devra répondre à plusieurs défis pour gagner en autonomie et devenir une puissance régionale dans le Pacifique.
Le premier défi est celui d’une harmonie entre ses différentes ethnies. Aujourd’hui, les Kanak, représentent près de 40% de la population. S’ils ont des revendications culturelles fortes et légitimes, ils devront cependant prendre en compte les autres composantes de la population calédonienne. Tout d’abord les Européens issus de l’immigration récente provenant de « métropole » et vivant principalement dans la capitale Nouméa, mais aussi les Caldoches, descendants des colons français arrivés au 19e siècle, et présents sur l’ensemble de l’archipel ; ces communautés européennes représentent 30% des habitants de la Nouvelle Calédonie. D’autres communautés sont présentes, les Métis, mais aussi les personnes issues des autres territoires français du Pacifique comme Wallis et Futuna et Tahiti qui représentent environ 10% de la population. Sont aussi présentes des communautés asiatiques provenant d’Indonésie, de Chine ou du Japon. La nouvelle société calédonienne devra prendre en compte toutes ses composantes. Bien que cette question n’ait pas été abordée dans le récentes négociations, le sujet des terres coutumières qui désignent les propriétés revenant à des collectifs autonomes kanak en Nouvelle Calédonie devra être abordé.
Le second défi est celui de l’attractivité économique qui passe par le développement de nouvelles activités. Par le passé, l’économie de la Nouvelle Calédonie était dominée par l’extraction minière et principalement par la production de nickel, qui emploie indirectement un quart des salariés de l’île. L’archipel possède plus de 20% des ressources mondiales de ce métal. Mais, cette industrie périclite. Elle a perdu de sa compétitivité face à ses concurrents notamment l’Indonésie qui ont fait chuter les cours mondiaux. En raison de ses coûts de production (et de ses standards environnementaux et sociaux) plus élevés, le secteur minier calédonien ne peut rivaliser. Une des trois usines a fermé ses portes à l’été 2024. Le secteur est très dépendant de la Chine qui importe près des trois quarts de la production locale notamment pour la fabrication de batteries.
L’accord de Bougival prévoit que le nickel calédonien soit intégré dans la stratégie française et européenne d’approvisionnement en matières premières, ce qui permettrait à la Nouvelle Calédonie de diversifier ses partenaires commerciaux, et d’être ainsi moins dépendant de la Chine.
La Nouvelle Calédonie et la stratégie française en Indopacifique
La France, sous la présidence d’Emmanuel Macron, a dévoilé dès 2018, sa propre stratégie en Indopacifique. Celle-ci s’appuie en partie sur la présence de territoires d’Outre-mer français que sont la Nouvelle Calédonie, Wallis et Futuna et la Polynésie française. C’est cette présence qui légitime la voix de France en Indopacifique.
La nouvelle relation qui s’établit entre la France et la Nouvelle Calédonie sera examinée attentivement par les autres territoires français d’Outre-mer, mais aussi par les Etats indépendants de l’Indopacifique. La France devra poursuivre sa présence et protéger ses intérêts d’une nouvelle manière.
Pour la Nouvelle Calédonie, la poursuite du lien avec la France permettra un accès toujours privilégié à l’ensemble de l’Union Européenne, ce qui lui permettra de diversifier ses échanges et de contrer l’influence des grandes puissances de l’Indopacifique.
Auteur: Sébastien Goulard est le fondateur et rédacteur de Global Connectivities.