par Sébastien GOULARD
La Thaïlande connait une crise politique qui a mené à la suspension de l’actuelle Premier ministre Paetongtarn Shinawatra par la Cour constitutionnelle suite aux tensions frontalières avec le Cambodge.
Des heurts avec le Cambodge
En mai, des heurts à la frontière entre les deux pays avaient fait une victime du côté cambodgien, et avaient poussé Bangkok a fermé sa frontière avec son voisin pour ses citoyens et les touristes étrangers.
La chute de la Premier ministre Paetongtarn a été causée par la fuite de la conversation que la dirigeante thaïlandaise a eu avec l’homme fort du Cambodge, l’ancien Premier ministre et actuel Président du Sénat, Hun Sen. Dans cet appel enregistré, il est reproché à Paetongtarn d’être trop conciliante envers Hun Sen, et de rechercher l’apaisement au grand dam des militaires thaïlandais. Le dirigeant cambodgien était par le passé un proche du père de Paetongtarn et ancien Premier ministre : Thaksin Shinawatra. Le peuple thaïlandais semble se tourner de plus en plus vers l’armée, qui avait dirigé le pays après le coup d’état de mai 2014 jusqu’aux élections de 2019. La Thaïlande pourrait renouer avec une période d’instabilité.
Cet épisode montre aussi que le dirigeant cambodgien Hun Sen conserve encore une influence très forte dans son pays, et qu’il n’y a pas encore eu de renouvellement de l’élite dirigeante au Cambodge.
Les tensions entre la Thaïlande et le Cambodge
Le différend frontalier qui oppose la Thaïlande au Cambodge est ancien, et remonte au 19e siècle et aux traités conclus entre le royaume de Siam et la France. En 1867, les deux pays s’accordaient pour faire de la région d’Angkor un territoire du Siam. Mais en 1907, le Siam est obligé de retourner certains territoires à la France qui occupe alors l’actuel Cambodge. Avec l’invasion japonaise de l’Indochine française en 1940, la Thaïlande récupère des territoires contestés qu’elle devra rendre après la défaite du Japon. Depuis l’indépendance du Cambodge en 1953, les deux pays connaissent des relations tendues en raison de leurs frontières, ils s’opposent notamment sur la propriété de certains temples à leurs frontières, tels que celui de Preah Vihear que la Cour de Justice Internationale a reconnu comme appartenant au Cambodge en 1962, ains que de l’île thaïlandaise de Ko Kut. La Cour de Justice Internationale a confirmé à nouveau sa décision en 2013 sur la demande du Cambodge. En effet, l’inscription du temple de Preah Vihear au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2008 avait alors exacerbé les tensions.
Aujourd’hui, la Thaïlande ne reconnait toujours pas la juridiction de la Cour Internationale de Justice sur ce dossier.
L’impact sur le tourisme
Cette crise a stoppé la dynamique du tourisme entre la Thaïlande et le Cambodge. Cet épisode arrive à un moment déjà difficile pour le secteur du tourisme qui doit faire face aux conséquences des tensions au Moyen-Orient, le (bref) conflit entre Israël et l’Iran a éloigné les touristes étrangers, notamment américains, européens, et moyen-orientaux de la Thaïlande, et le pays cherche à nouveau à attirer les visiteurs chinois, même si les professionnels sont bien conscients qu’ils doivent éviter une surdépendance au marché chinois.
Une polarité de la population thaïlandaise entre les soutiens de l’armée et ceux de la Premier Ministre, avec d’éventuelles manifestations fragiliserait encore plus le secteur.
Une économie menacée
Cette crise vient s’ajouter à un contexte économique complexe en raison des menaces de tarifs douaniers que le Président Trump fait peser sur la Thaïlande. En effet, les Etats-Unis devraient appliquer une taxe de 36% aux produits thaïlandais dès le 1er août. La Thaïlande espérait devenir une destination attractive pour les entreprises étrangères souhaitant délocaliser leurs activités de Chine vers l’Asie du Sud-Est, avec par exemple l’arrivée d’Apple. Une crise politique ne ferait qu’affaiblir la Thaïlande dans ses futures négociations avec Washington.
Une médiation possible ?
Le Cambodge et la Thaïlande sont tous les deux membres de l’ANSEA, mais cette organisation régionale s’est toujours refusée à intervenir directement dans une telle crise selon son principe de non-ingérence. Si cette règle a permis la stabilité des relations entre ses membres, elle remet en cause sa capacité à agir. Dans le cas d’un conflit ouvert entre la Thaïlande et le Cambodge, la crédibilité de l’ANSEA se verrait bien entamée.
Avant sa suspension de ses fonctions de Premier ministre, Paethongtarn Shinawatra s’était entretenue avec le Président français ; Emmanuel Macron se proposait comme possible médiateur dans le conflit qui opposait la Thaïlande aud Cambodge. Déjà, en 2011, la France avait une offre similaire qui avait été refusée par Bangkok. Cette intervention aurait permis à Paris de confirmer sa stratégie Indopacifique.
La Chine, par la voix de son Ministre des affaires étrangères, Wang Yi, s’est elle aussi proposée dans le rôle de médiateur, en se présentant comme une puissance impartiale. Un conflit, ou tout du moins des tensions en Asie du Sud-Est, ne ferait que fragiliser les projets de connectivité que la Chine espère mettre en place en coopération avec les Etats de la région.
L’actuelle crise politique que connait la Thaïlande, causée par un conflit ancien avec le Cambodge à propos d’un temple pourrait avoir de sérieuse implications à l’échelle régionale. Pour Bangkok comme Phnom Penh, la coopération doit prendre le pas sur un nationalisme dangereux.
Auteur: Sébastien Goulard est le fondateur et rédacteur de Global Connectivities.