par Sébastien GOULARD
Le 3 mai prochain se dérouleront les élections fédérales australiennes. Leurs résultats pourraient impacter les relations entre l’Australie et la Chine et remettre en cause le développement du port de Darwin, la capitale du Territoire du Nord.
Landbridge et Darwin
En 2015, le gouvernement du Territoire du Nord confiait à l’entreprise chinoise Landbridge la location et la gestion du port de Darwin pour une durée de 99 ans, en échange de près de 390 millions de dollars. L’entreprise chinoise s’engageait aussi à investir plus de 150 millions de dollars pour la modernisation du site durant les vingt-cinq prochaines années.
L’entreprise Shandong Landbridge (山东陆桥国际货运代理有限公司) est une entreprise privée, dont les dirigeants sont proches du gouvernement central. Andrew Robb, le ministre du commerce et des investissements qui avait approuvé cet accord, avait ensuite été recruté par l’entreprise chinoise.
Darwin et les relations sino-australiennes
Les relations sino-australiennes étaient alors au beau fixe, la Chine était alors le plus grand client de Canberra, et absorbait près d’un tiers des exportations australiennes. L’économie australienne était aussi soutenue par les investisseurs chinois : l‘Australie était ainsi sur le podium des destinations des investissements chinois à l’étranger. Les territoires australiens privilégiaient le renforcement de leurs relations avec la Chine, ainsi en 2018, l’Etat de Victoria se prononçait, -sans l’accord du gouvernement fédéral-, pour rejoindre l’initiative chinoise « Belt and Road », le grand projet de connectivité lancé par le Président Xi Jinping en 2013.
Cependant les relations entre les deux pays commencé à se détériorer en 2019 des médias australiens accusaient certains hommes d’affaires chinois de vouloir influencer les décisions politiques internes. Le gouvernement australien s’était par la suite emparé des questions liées à Hong Kong et du Xinjiang, provoquant des tensions avec Beijing. La Chine décida alors d’appliquer des sanctions commerciales contre les produits australiens. Les relations entre les deux pays ont continué à se détériorer durant la crise du Covid lorsque la ministre des affaires étrangères australienne Marise Payne suggéra une enquête internationale sur les origines du Covid. La rivalité entre Canberra et Beijing se fait aussi sentir dans le Pacifique. L’influence grandissante de la Chine dans la région, par exemple à travers l’accord de défense entre la Chine et les îles Salomon en 2022 inquiète l’Australie. Avec les élections fédérales de 2022 et l’arrivée au pouvoir d’Anthony Albanese, les rapports entre les deux pays se sont améliorés.
La remise en question de l’accord concernant le port de Darwin
L’Australie a cependant pris conscience d’une certaine dépendance à la Chine qu’elle veut aujourd’hui limiter, et il semble aujourd’hui avoir un consensus au sein de la classe politique australienne pour revoir l’accord qui lie le territoire du Nord à l’entreprise chinoise Landbridge concernant le port de Darwin.
Le 4 avril dernier, lors d’une interview radiophonique, le Premier ministre australien Anthony Albanese déclarait que le port de Darwin devrait être entre les mains de l’Australie. Le lendemain, le leader de l’opposition Peter Dutton déclarait lors d’un déplacement dans la capitale du Territoire du Nord, que le port de Darwin était un atout stratégique, et que si la coalition des Libéraux et du Parti National d’Australie gagnait les prochaines élections fédérales début mai, l’une de ses priorités seraient de récupérer le port de Darwin. Ce consensus fait suite à l’exercice naval mené par la marine chinoise au large de la mer de Tasman en février dernier. Le gouvernement australien aurait déjà approché des fonds d’investissement pour reprendre la gestion du port de Darwin, bien que Landbridge ait affirmé que son port n’était pas à vendre. Cependant, selon certaines informations, le groupe Shandong Landbridge souhaiterait réduire son endettement et ne verrait donc pas la vente du port de Darwin d’un mauvais œil.
Ce n’est pas la première fois que des dirigeants australiens s’interrogent sur la présence de Landbridge à Darwin, cela avait déjà été le cas en 2020, mais cela pourrait nuire à l’image du pays et réduire les investissements en provenance de Chine et d’ailleurs en Australie.
Le port de Darwin est aujourd’hui un hub majeur dans le commerce entre l’Australie et l’Asie. En 2025, il était au 10e rang des ports australiens pour son trafic, loin de Melbourne ou Newcastle, mais il présente un caractère stratégique du au fait qu’il soit la principale fenêtre vers l’Asie pour l’exportation de matières premières (minerais) mais aussi bétail produit dans les régions du centre et du nord de l’Australie. Darwin présente aussi une dimension stratégique et abrite la base militaire de Coonawarra, ainsi que des installations pour recevoir des Marines américains. Cependant les activités opérées par Landbridge à Darwin sont uniquement commerciales et il est relativement facile pour les autorités australiennes de les contrôler.
La Chine et les élections fédérales
La Chine est devenue un sujet majeur dans les prochaines élections fédérales australiennes, les principaux partis se prononcent chacun pour une plus grande indépendance vis-à-vis de Beijing, Les sanctions commerciales adoptées par la Chine n’ont pas été oubliées. Cependant, les partis politiques ont conscience du poids que pèsent les communautés d’origine chinoise en Australie, et tentent de les courtiser en adoptant un ton plus conciliant envers la Chine.
Auteur: Sébastien Goulard est le fondateur et rédacteur de Global Connectivities.