La boussole pour la compétitivité européenne

L’Union Européenne se dote d’une boussole de la compétitivité pour mieux répondre aux enjeux de l’innovation à l'international.

par Sébastien GOULARD

Lors du forum de Davos, la Présidente de la Commission Européenne, Ursula von Der Leyen a dévoilé une nouvelle stratégie pour rendre l’Europe plus accueillante auprès des entreprises et booster l’innovation. Si les détails de cette stratégie ne seront dévoilés que progressivement, la Commission Européenne a déjà présenté les grandes lignes qui reprennent certaines propositions formulées dans le rapport Draghi. 

Les piliers de la boussole de compétitivité européenne

Cette boussole de compétitivité définit trois priorités pour l’Europe. La première est de relancer l’innovation et de soutenir les efforts de réindustrialisation, notamment dans les hautes technologies du continent européen.
Le deuxième objectif est de poursuivre la décarbonation de l’économie européenne tout en conservant une énergie abordable pour les entreprises.

Enfin le dernier pilier consiste à poursuivre la stratégie d’autonomie de l’Europe en diversifiant ces partenariats et réduisant ses dépendances extérieures.

La relance de l’innovation

Un volet important de ce pilier concernera le développement de l’intelligence artificielle, un secteur qui structurera le futur de nos économies et où l’Europe souffre d’un écart grandissant avec les Etats-Unis.

Plusieurs plans d’actions concernant les biotechnologies, la robotique et les technologies spatiales devraient être annoncées dans les prochains mois.

La décarbonation

Un des enjeux de cette boussole est de permettre aux industries de poursuivre leur décarbonation tout en luttant contre les prix élevés de l’énergie, pour permettre de conserver certaines industries stratégiques au sein de l’Union, et notamment celle de l’industrie automobile qui souffre de difficultés à adopter la révolution du tout électrique.

Le secteur nucléaire pourrait notamment connaitre un nouveau développement grâce à la boussole de compétitivité.

La réduction des dépendances extérieures

L’Union Européenne compte poursuivre sa politique de diversification de ses partenariats avec les Etats non-Européens, avec de nouveaux accords commerciaux. Cette autonomie stratégique devrait aussi passer par un volet « défense » à l’heure où les menaces extérieures se font plus fortes.

Les différents chantiers

Pour atteindre ses objectifs, plusieurs grands chantiers devraient être lancés à l’échelle du continent. Un premier enjeu est de réduire la bureaucratie à laquelle font face les entreprises européennes. Le 26 février 2025, la Commission dévoilera ainsi son projet de règlement Omnibus pour simplifier la conduite des affaires et réduire le reporting. La directive CRSD (Corporate Sustainability Reporting Directive), adoptée en 2022 et obligeant les entreprises à un reporting non financier, pourrait être allégée. Cet objectif de simplification pourrait aussi impacter le « Green Deal » européen pour le secteur agricole.

Le deuxième enjeu est celui de l’amélioration du marché unique, pour que les entreprises européennes, notamment les startups puissent opérer et se développer le plus facilement possible sur l’ensemble du marché européen, notamment grâce à un nouveau statut juridique reconnu par tous les membres de l’Union.

Un autre chantier est celui de la création d’un marché de capitaux permettant de transformer l’épargne européenne en investissements pour permettre le développement d’entreprises innovantes en Europe. Aujourd’hui, le capital-risque reste un outil limité pour les startups européennes par rapport à leurs concurrentes américaines  ou chinoises.

La boussole européenne doit aussi permettre une meilleure reconnaissance des compétences au sein de l’Union pour faire émerger les talents, mais aussi mieux les rémunérer, et ainsi éviter que les talents préfèrent les Etats-Unis à l’Europe.

Enfin, la Commission ambitionne aussi de renforcer la coordination entre les Etats-membres grâce à des outils communs.

Le contexte

Cette décision intervient alors que l’Union Européenne et sa lourde réglementation sont de plus en plus montrées du doigt pas les milieux d’affaires qui y voient des freins à leur compétitivité par rapport aux autres états, notamment les Etats-Unis qui, avec l’élection de Donald Trump, inaugurent une simplification de l’activité économique.

La boussole de compétitivité européenne est aussi motivée par la nécessité d’une plus grande autonomie stratégique de l’Union Européenne. Hier, l’agression de l’Ukraine par la Russie, aujourd’hui, la guerre commerciale inaugurée par l’Etats-Unis montrent aux Européens qu’ils doivent développer leurs propres industries pour être moins dépendants de partenaires imprévisibles.

Cependant, avec cette stratégie, la Présidente de la Commission ne renie pas les principes de de libre-échange promus par l’Union Européenne. Ainsi, comme elle l’indique dans son discours au Forum de Davos, il ne s’agit pas de casser les liens du commerce international, mais de moderniser nos règles, et de s’adapter au contexte international.  L’Union Européenne  a souvent paru naïve par rapport aux autres puissances, ce qui lui est régulièrement reproché par certains eurosceptiques. L’Union Européenne promeut des règles qu’elle est souvent la seule à respecter.

Le rapport Draghi

Cette nouvelle boussole pour la compétitivité européenne s’inspire du « rapport Draghi ». Présenté en septembre 2024 par Mario Draghi, ancien Président du Conseil Italien et ancien Président de la Banque Centrale Européenne, ce rapport, extrêmement ambitieux, est un appel à une plus grande coordination économique et industrielle au sein de l’UE pour que l’Europe ne se fasse pas distancer par d’autres grandes puissance telles que les Etats-Unis et la Chine. Ce rapport est construit autour de trois axes qui sont

1) une innovation renforcée,

2) une décarbonation coordonnée,

3) une sécurité améliorée,

trois piliers qui réapparaissent dans la boussole européenne de compétitivité.

Pour atteindre ces objectifs, Mario Draghi a formulé 170 propositions, parmi elles, la priorité donnée au développement de l’intelligence artificielle, un secteur où l’Europe, malgré ses compétences, souffre d’un retard face aux Etats-Unis. Une autre proposition est d’accélérer l’harmonisation juridique des entreprises européenne avec la création d’un statut commun pour les startups européennes.
Pour financer ces mesures, Mario Draghi suggère de faire appel à l « épargne européenne, et à lancer des emprunts européens. Ce dernier instrument est relativement mal considéré par les membres « frugaux » de l’Union Européenne.      

Le rapport Draghi, s’il a été relativement accueilli à sa sortie, est aujourd’hui pris en compte dans la boussole de compétitivité européenne. La crainte d’un décrochage de l’Union Européenne par rapport aux Etats-Unis, -accentué par l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche, ses projets de déréglementations et ses menaces de guerre commerciale, a poussé la Commission Européenne a intégré des éléments du rapport Draghi dans sa nouvelle stratégie de boussole de compétitivité.

Une mise en place rapide

Cette boussole de la compétitivité devra convaincre les investisseurs et entrepreneurs européens du changement opéré par la Commission européenne. Pour cela, l’Union Européenne devra agir vite, ce qui reste un défi à l’échelle des 27 Etats membres, mais l’Union Européenne a déjà prouvé qu’elle pouvait agir avec célérité lors des crises.

Auteur: Sébastien Goulard est le fondateur et rédacteur de Global Connectivities.

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