Erasmus et la Méditerranée

Erasmus pourrait s'étendre au Sud de la Méditerranée : un nouvel horizon pour l’éducation et les partenariats stratégiques de l’Europe.

par Sébastien GOULARD

Le 16 octobre dernier, Kaja Kallas, Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et vice-présidente de la Commission européenne, et Dubravka Šuica, Commissaire européenne pour la Méditerranée ont annoncé réfléchir à l’intégration de plusieurs Etats de la rive sud de la Méditerranée dans le programme européen Erasmus+ pour favoriser les échanges universitaires entre l’Union Européenne, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Si cette annonce a fait couler beaucoup d’encre, elle annonce une réflexion sur le renforcement des relations entre l’Europe et les Etats au Sud de la Méditerranée, à travers un nouveau Pacte pour la Méditerranée qui répondrait à des enjeux partagés. L’éducation et l’innovation sont deux priorités de ce nouveau Pacte.

Le nouveau Pacte pour la Méditerranée

La guerre en Ukraine a permis une prise de conscience pour l’Europe de renforcer sa coopération avec ses voisins. Si l’une des priorités reste l’intégration des Etats des Balkans occidentaux, du Caucase, et bien sûr de la Moldavie et de l’Ukraine, Bruxelles n’oublie pas la région méditerranéenne.  Cette région est confrontée à plusieurs crises que ce soit en Libye, mais aussi en Israël et en Syrie et l’Union Européenne se doit d’être plus active sur ses terrains pour y proposer des solutions et y encourager le dialogue. D’autre part l’Union Européenne, afin de diminuer sa dépendance énergétique avec la Russie, cherche de nouveaux fournisseurs tels que l’Algérie. L’Union Européenne a aussi pour objectif en améliorant ses relations avec les pays méditerranéen de mieux contrôler les flux de migrants en provenance de l’Afrique et du Moyen-Orient.

Enfin le conflit en Ukraine, a montré que la Russie cherchait à renforcer son influence en Afrique, mais aussi dans les pays méditerranéens, et donc l’Union Européenne avait besoin d’offrir une alternative au soutien de la Russie pour conserver des liens structurants avec les Etats de la rive sud de la Méditerranée.

Le Pacte proposé en octobre dernier qui doit encore être approuvé par les Etats membres de l’Union Européenne s’appuie sur trois piliers pour développer ce nouveau partenariat. Le premier a pour ambition de développer les échanges de personnes dans l’éducation et le sport. Le second vise à développer les échanges commerciaux, portées notamment par les PMEs et les start-ups des deux côtés de la Méditerranée, avec une attention particulière aux secteurs des nouvelles technologies et des énergies propres. Enfin le dernier pilier concerne la sécurité, la lutte contre le terrorisme et les catastrophes naturelles.

Un Erasmus élargi ?

Lors de l’annonce de ce plan, a été évoqué l’ouverture du programme Erasmus aux pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Cette proposition a été très commentée par les différents partis politiques en raison de son caractère très symbolique.

Le programme Erasmus est l’une des réussites les plus tangibles de l’Union Européenne, tous les Européens connaissent dans leur entourage une personne qui a étudié quelques mois dans une université dans un autre pays européen. Ces séjours universitaires ont changé la vie de nombreux européens. On parle même de « bébés Erasmus », pour décrire le million d’enfants nés de couple qui se serait rencontré durant leurs études à l’étranger. Depuis 1987, le programme Erasmus participe au renforcement d’un sentiment d’appartenance européen, il fait partie intégrante de la « pop culture » européenne à travers des films comme « l’Auberge espagnole » de Cédric Klapish, sorti en 2002.

S’il a pendant longtemps été réservé aux seuls étudiants, il a été ouvert à d’autres catégories socio-professionnelles telles que les apprentis en 1995, puis à d’autres professionnels, notamment les fonctionnaires quand il est devenu Erasmus+ à partir 2014.  

L’idée d’ouvrir le programme Erasmus à des Etats non membres de l’Union Européenne n’est pas nouvelle. La Norvège, le Liechtenstein et l’Islande, tous trois membres de l’Espace Economique Européen bénéficient du programme d’échange universitaire, tout comme la Turquie, et des Etats des Balkans occidentaux. Il existe aussi le programme Erasmus Mundus qui comme son nom l’indique est ouvert à l’ensemble du monde mais ne concerne que des formations prestigieuses.

L’annonce faite par la Commissaire européenne a été critiquée, notamment à droite de l’échiquier politique car elle favoriserait l’immigration vers l’Union Européenne. Ainsi, aujourd’hui, en France, les étudiants en provenance d’Afrique du nord et d’Afrique subsaharienne sont parmi les plus susceptibles de rester après la fin de leurs études. C’est le cas de 61% des étudiants algériens. L’ouverture d’Erasmus à l’Afrique du nord pourrait faciliter cette immigration selon certains dirigeants politiques.

Une autre critique est que cette ouverture au pays de la Méditerranée est déséquilibrée, et qu’elle ne favorise les échanges que dans un seul sens, des pays du sud de la Méditerranée vers l’Union Européenne. En effet, certains des pays non-Européens qui rejoindraient le programme Erasmus sont formellement déconseillés par les chancelleries de plusieurs membres de l’Union Européenne. Ainsi, si l’on prend le cas de la Libye, le ministère des affaires étrangères italien déconseille tout déplacement dans ce pays, le gouvernement allemand conseille à ses administrés de quitter le pays et la France l’a classé dans sa liste rouge. Il n’est pas donc vraisemblable que des étudiants européens séjournent en Libye pour y étudier. Il en va de même pour la Syrie.

Mais la coopération proposée dans le premier pilier du Pacte pour la Méditerranée ne se limite pas au programme Erasmus. En Lybie, comme en Syrie, le secteur universitaire a été gravement impacté par les conflits qu’ont connu ces Etats. S’il n’est pas question aujourd’hui de voir des étudiants européens mener une partie de leur scolarité dans ces pays, il y a un enjeu à développer des programmes de recherche entre les institutions européennes et locales pour de futures coopérations et ainsi accompagner l’innovation sur les deux rives de la Méditerranée. C’est aussi une opportunité pour l’Union Européenne d’affirmer son leadership et de promouvoir son modèle face à des concurrents comme la Russie, auprès de la jeunesse au sud de la méditerranéenne.     

On peut regretter une certaine maladresse de la part de la Commission européenne d’avoir évoqué un élargissement de l’iconique programme Erasmus aux pays du Sud de la Méditerranée, mais le développement de la coopération universitaire entre l’Union Européenne et les pays méditerranéen reste une priorité pour la politique de bon voisinage de l’Union Européenne et son soft power en Afrique du nord et au Moyen-Orient.

Sébastien Goulard

Sebastien Goulard is the Editor-in-Chief of GlobalConnectivities. He publishes articles and analyses on major infrastructure projects around the world, as well as initiatives that promote international exchange and cooperation. He has conducted extensive research on China’s Belt and Road Initiative.

Sebastien Goulard is also the founder of Cooperans, a consultancy firm that supports stakeholders engaged in international projects. He holds a PhD in the socio-economics of development from the École des Hautes Études en Sciences Sociales (School of Advanced Studies in the Social Sciences).

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