Le Timor-Leste, nouveau membre de l’ANASE 

L’adhésion de Timor-Leste à l’ASEAN en 2025 marque l’aboutissement d’un long processus de réformes politiques et économiques.

par Sébastien GOULARD

Alors que le monde entier avait les yeux rivés sur la présence du Président Donald Trump au dernier sommet de l’ANASE à Kuala Lumpur du 26 au 28 octobre 2025, le Timor Leste devenait membre à part entière de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est. Dans un discours extrêmement émouvant, le Premier ministre Xanana Gusmao revenait sur le long parcours qu’avait mené son pays pour rejoindre l’organisation régionale depuis sa candidature en 2011 à son statut d’observateur obtenu en 2022 jusqu’à aujourd’hui. En quatorze ans, le Timor-Leste avait ainsi réformé ses institutions et suivi la feuille de route définie par les membres de l’ANASE en 2022.

Une adhésion longtemps retardée

Cependant, il reste de nombreux défis à relever pour le Timor Leste. Il est aujourd’hui la plus petite économie du bloc régional, son PIB n’atteint en 2025 que 2,13 milliards de dollars, loin des 16 milliards de dollars du Laos, pourtant avant-dernière économie de l’ANASE. Le pays est le plus pauvre de l’ANASE  avec le Myanmar aujourd’hui en situation de guerre civile. C’est justement ce retard économique qui a longtemps retardé l’intégration du pays dans l’ANASE. Si certains Etats membres tels que les Philippines ont toujours soutenu la candidature du Timor-Leste, d’autres Etats notamment Singapour s’y sont longtemps opposés en raison du faible niveau de développement de l’ancienne colonie portugaise. L’instabilité politique dont a souffert le Timor-Leste depuis son indépendance en 2002 a aussi été un frein à son intégration dans l’organisation régionale. Il y a près de vingt ans, an 2006, le pays connaissait une crise politique majeure qui avait l’intervention de la communauté internationale. Il faut attendre 2012 pour que le Timor-Leste s’apaise et entame un travail de reconstruction et de réconciliation. Les relations avec son voisin l’Indonésie se sont améliorées, et Djakarta a soutenu la candidature du Timor-Leste. Mais pour Singapour, l’adhésion du Timor-Leste venait s’ajouter à la situation complexe que connaissait l’ANASE avec la guerre civile que connaît le Myanmar depuis 2021.

Deux arguments ont vaincu les réticences de Singapour et d’autres opposants à l’intégration du Timor-Leste dans l’ANASE. Tout d’abord, ce nouveau pays a besoin de stabilité et le laisser en dehors du bloc régional, c’est prendre le risque qu’il connaisse à nouveau des troubles et devienne une base pour des activités criminelles et notamment cybercriminelles. S’il restait en-dehors de l’ANASE, le Timor Leste pourrait être tenté de se rapprocher d’autres puissances intéressées par sa position stratégique. Par le passé, Dili et Beijing ont connu un rapprochement important. La Chine y a construit plusieurs infrastructures, et les deux pays ont signé plusieurs partenariats, notamment dans le domaine militaire. Après la signature d’un accord militaire entre la Chine et les îles Salomon en 2022. Plusieurs Etats, dont l’Australie, se sont inquiétés de la signature d’un accord similaire entre Beijing et Dili qui permettrait l’ouverture d’une base militaire chinoise au Timor-Leste. Les autorités timoraises avaient alors démenti. Mais, ce point revient régulièrement et témoigne aussi de l’intérêt des puissances hors ANASE, notamment la Chine et l’Australie pour le Timor-Leste.  Son intégration dans l’ANASE devait ainsi permettre de renforcer son ancrage régional et d’être moins sujet à des influences extérieures.

Pour une diversification de l’économie timoraise  

L’économie du-Timor Leste souffre d’une très forte dépendance aux hydrocarbures, ainsi près de 80% de son PIB provient du secteur des hydrocarbures. Si l’extraction de pétrole a permis la construction d’infrastructures, notamment dans le transport et l’énergie, le secteur des hydrocarbures domine l’économie, et rend le pays très dépendant à ces ressources qui ne sont pas éternelles.

De plus, la question de l’exploitation des réserves gazière dans la mer du Timor, empoisonnent les relations entre Dili et Canberra, il existe ainsi un différend sur les frontières maritimes des deux pays. Aujourd’hui, le gaz extrait des réserves timoraises sont acheminés en Australie, faute d’infrastructures suffisantes du côté du Timor Leste, même si des projets de pipeline et de raffinerie existent. Cependant le secteur des hydrocarbures, même modernisé, ne peut assurer des emplois à l’ensemble de la société timoraise.    

Grâce aux hydrocarbures, le Timor Leste bénéfice d’un fond souverain pour soutenir son économie, mais selon le Fond Monétaire International, cette richesse doit être mieux dépensée et de plus lentement. Cela passe notamment par des investissements plus élevés dans l’éducation et la formation, mais aussi par un soutien au secteur privé et par une réforme agraire pour l’agriculture plus compétitive.

Face au défi de la diversification, des coopérations sont possibles entre le Timor Leste et les autres membres de l’ANASE.   

Une gouvernance plus forte

La perspective de rejoindre l’ANASE a aussi poussé Dili à transformer ses institutions et faire monter en compétences ses dirigeants et son administration (par exemple en renforçant le niveau d’anglais de ses fonctionnaires pour permettre de nouvelles coopérations avec les autres membres de l’ANASE). Une culture d’évaluation, à travers l’audit des politiques publiques a été promue dans toute l’administration timoraise. Ces réformes doivent permettre de rassurer les investisseurs étrangers, notamment en provenance d’Asie du Sud-Est quant à la capacité des autorités du Timor-Leste à protéger leurs intérêts et assurer l’Etat de droit.    

La nécessité de réformer l’ANASE

Après le Timor-Leste, un autre Etat, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, aujourd’hui observateur, souhaiterait rejoindre l’organisation régionale. Port Moresby a obtenu le soutien de Djakarta dans cette quête. Comme le Timor-Leste, la Papouasie-Nouvelle-Guinée devra renforcer ses institutions et assurer la sécurité des investisseurs étrangers.

Avec cet élargissement au Timor-Leste, et peut-être bientôt à la Papouasie-Nouvelle-Guinée, l’ANASE a besoin de se moderniser. Selon article 21  de la chartre de l’ANASE, l’organisation fonctionne sur la base du consensus qui permet une forte flexibilité et un engagement à la carte. Aujourd’hui, des voies au sein de l’ANASE s’élèvent pour plus d’intégration, ainsi, le Premier ministre de Singapour Lawrence Wong a appelé à réduire les barrières à l’investissement et au commerce et à créer de nouvelles infrastructures entre les membres.

Mais l’organisation bute encore sur les questions de sécurité. La réponse de l’organisation régionale à la guerre civile au Myanmar et la brutalité de la Junte au pouvoir, est relativement tiède. Si en octobre dernier, les membres de l’ANASE ont réaffirmé le principe du consensus en 5 points (fin des violences, repris du dialogue, nomination d’un envoyé spécial, autorisation de l’aide humanitaire, possibilité donnée à l’envoyé d’échanger avec l’ensemble des parties), la marge de manœuvre de l’ANASE est limitée. De même, sur la question des tensions entre la Thaïlande et le Cambodge, au-delà des déclarations, l’ANASE doit se donner les moyens d’agir et de faire respecter ses déclarations, il en va de la crédibilité de l’organisation, qui doit aussi affronter l’influence d’acteurs extérieurs dans la coopération sino-américaine.

L’intégration du Timor-Leste dans l’ANASE peut se transformer en opportunité pour l’organisation régionale de se réformer et de jouer un rôle à sa mesure sur la scène internationale.

Sébastien Goulard

Sebastien Goulard is the Editor-in-Chief of GlobalConnectivities. He publishes articles and analyses on major infrastructure projects around the world, as well as initiatives that promote international exchange and cooperation. He has conducted extensive research on China’s Belt and Road Initiative.

Sebastien Goulard is also the founder of Cooperans, a consultancy firm that supports stakeholders engaged in international projects. He holds a PhD in the socio-economics of development from the École des Hautes Études en Sciences Sociales (School of Advanced Studies in the Social Sciences).

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