La Sicile, enfin connectée au continent?

Le 6 août dernier, le gouvernement de Georgia Meloni a donné son accord pour la construction prochaine du pont de détroit de Messine.

L’annonce de la construction de ce pont marquera durablement le mandat de la Présidente du Conseil Geogia Meloni qui accomplira ainsi un vieux rêve italien. Il s’agira d’un défi technologique majeur qui devrait booster le développement de la Sicile et renforcer la connectivité en Europe. Mais le projet revêt aussi une dimension plus stratégique.

Un défi technique

Aujourd’hui, la Sicile est reliée par avion et ferries au continent, il est possible même de voyager depuis Rome jusqu’à Palerme en train, les wagons sont placés sur un ferry qui traverse le détroit de Messine. Mais la mise en service de ce pont comportant à la fois voies routières et voies ferrées ne manquera pas de rendre plus aisés les déplacements entre l’île méditerranéenne et le reste du  « Bel Paese ».   

Suivant les premiers éléments communiqués, ce pont suspendu devrait atteindre 3,6 kilomètres de longueur faisait de cet ouvrage l’ouvrage le plus imposant de ce type au monde, il dépassera ainsi le pont « 1915 des Dardanelles » en Turquie, qui est actuellement le plus (avec 2023 mètres). Il comportera six voies autoroutières et deux voies ferroviaires. Il devra résister à la fois aux vents violents dans cette partie de la Méditerranée mais aussi aux séismes.

Une opportunité économique pour l’Italie méridionale

La construction de ce pont peut aussi être considérée comme un soutien politique et financier, ou tout du moins une attention forte de Rome vers le Mezzogiorno.

L’Italie souffre d’inégalités économiques persistantes ; les régions de Sicile et de Calabre qui seront reliées à terme par le nouveau pont sont les plus pauvres (en PIB par habitant) d’Italie et sont celles avec la région de Campanie où le taux de chômage est le plus élevé. A court terme, la construction du pont devrait créer jusqu’à 120 000 emplois directs et indirects. Mais plus important encore, l’édifice devrait changer l’image de la Sicile et de l’Italie méridionale et faire venir de nouvelles entreprises attirée par une région plus accessible.

Le renforcement d’un corridor européen

Le projet a reçu le soutien de l’Union Européenne qui y voit un renforcement de son réseau de transport transeuropéen (TEN-T) destiné à faciliter les déplacements sur l’ensemble du continent. Le pont de Messine permettra ainsi la complétude du corridor reliant la Scandinavie à la Méditerranée.

Une initiative historique

Il s’agira d’un succès personnel pour la Présidente du Conseil Georgia Meloni qui annone un projet auquel l’ensemble de ses prédécesseurs ont renoncé. Relier la Sicile à la botte italienne est un vieux rêve puisque déjà sous les Romains un tel pont était envisagé. Au début du 20e siècle, des études géologiques sont menées pour creuser un tunnel. Mais ce n’est qu’à partir des années 1960 que des projets concrets sont avancés et des compétitions sont lancées pour mener à bien la construction d’un pont. Mais face aux coûts pharamineux de l’ouvrage, le projet est régulièrement abandonné mais revient à la surface tel un serpent de mer.

Le projet d’un pont revient de manière sérieuse au début des années 2000 sous Silvio Berlusconi, un ardent partisan de cette initiative. En 2005, un consortium remporte l’appel d’offre, mais l’année suivante, sous le gouvernement Prodi, le projet est annulé car on soupçonne la mafia de s’être infiltrée dans le projet. Quand il revient aux affaires en 2008, Silvio Berlusconi veut faire renaitre ce projet de pont, et en 2011, le projet de pont est annoncé avec une mise en service pour 2016. Mais faute de fonds suffisants, le nouveau Président du Conseil Mario Monti revient sur la décision de Silvio Berlusconi et annule à nouveau le projet de construction. Depuis lors, la construction d’un pont sur le détroit de Messine revient régulièrement. 

Un projet contesté ?

Le projet de pont sur le détroit de Messine est maintenant approuvé par toutes les autorités italiennes et son financement semble sécurisé. Cependant, malgré les avantages qu’il offre à la société sicilienne, il est contesté par une partie des Italiens qui y voient la possible implication de la Mafia dans sa construction et des risques environnementaux élevés ; l’édifice pourrait déranger la migration des oiseaux, le détroit servant aujourd’hui de corridor aux espèces migratrices. D’autre part, la construction du pont devrait nécessiter beaucoup d’eau, dans une région déjà soumise à un stress hydraulique important. Plusieurs centaines de résidents devraient aussi être expropriés pour laisser place à cette nouvelle infrastructure.

On s’interroge aussi sur son utilité par rapport à son coût élevé. Le projet est estimé à 13,5 milliards d’euros. L’ensemble de sera financé en partie par l’Etat Italien et par des investisseurs privés. Mais certains commentateurs doutent que ce pont, seul, puisse créer de nouvelles opportunités économiques en Sicile. La construction devrait être accompagnée de nouvelles mesures permettant de rendre la Sicile plus attractive.

Un projet de défense

Si l’Italie construit finalement ce point, après bien des péripéties, c’est en partie suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et la demande de Trump faite aux Européens de consacrer au moins 5% de leur PIB à la défense. En effet, le pont de Messine devrait être classé comme infrastructure à double usage : civil et militaire et rentrerait ainsi dans le budget de la défense.    

La construction du pont de Messine est donc critiquée par les partisans d’une défense européenne et italienne forte. Aujourd’hui, Rome ne fait pas partie des meilleurs élèves en matière de défense, puisque le budget de la défense n’atteignait que 1.61% de son PIB en 2024. Si Rome compte augmenter, -artificiellement-, son budget « défense » en y incluant la construction de ce pont, cela signifie que ses dépenses en équipements militaires, pourtant essentielles dans le contexte, actuel resteront limitées.  Lors du dernier sommet de l’OTAN de La Haye, Georgia Meloni a affirmé que les dépenses militaires atteindront 5% du PIB en 2035 (dont1,5% de dépenses hors équipements militaires), elle compte en partie sur la construction de ce pont pour augmenter ce chiffre.

Pourtant l’aspect militaire ou « stratégique » du nouveau pont peut être remis en question. Oui, des chars pourront emprunter ce pont, mais son intérêt militaire n’est pas évident, et il pourrait devenir une cible de choix en cas de conflit.

Il est   difficile de prédire aujourd’hui l’impact économique du futur pont de Messine, la Sicile fait face à de nombreux enjeux qu’un pont, aussi majestueux soit-il, ne pourra pas régler seul. Cependant, cette construction est une belle opération politique et montre que l’Italie est bien présente et prête à relever de nouveaux défis. L’Italie reste une terre d’innovation.  

Auteur: Sébastien Goulard est le fondateur et rédacteur de Global Connectivities.

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